Octobre

Vendredi 4 octobre


Le plus attachant des bourrus
Le Journal littéraire s’érige comme la forme d’écriture la plus en symbiose avec la trajectoire existentielle de Paul Léautaud : à son aune, selon une réactivité instinctive pour canaliser sa désespérance et prolonger une présence dans un monde abhorré. Diariste par plaisir avant tout, par besoin sans doute, mais peut-être aussi comme fidélité en actes à sa conception de l’art littéraire, non tourné vers soi-même dans l’attractive sphère de l’imaginaire, mais en prise avec la perception partielle, à brut, de son univers de vie, professionnel et affectivo-sexuel, de ses pensées en direct, sans la sécurité d’une mise à distance. Ne pas craindre la contradiction avec soi-même, l’outrance cathartique sur les autres, l’apparente incohérence d’une relation parcellaire, subjective et morcelée.
L’exemplaire harmonie entre ce témoignage écrit et ses entretiens radiophoniques laisse émerger le fond intentionnel de Léautaud d’une modernité involontaire. Le bougre misanthrope demeure comme auteur dans l’histoire littéraire par son Journal, essentiellement. Cette œuvre, plus que toute autre, doit permettre de réhabiliter, de légitimer le genre diariste qui puise son attractivité dans ce qui peut apparaître, au premier abord, comme des défauts. Le côté tremblant qui sublime l’interprétation musicale se retrouve ici, en littérature, et offre une autre voie que celles de l’imagination peaufinée, de la structuration anticipée ou du lyrisme calculé. Ce direct littéraire accuse plus que tout autre l’écho de son auteur, dans sa capacité à être en écriture. De là un fondu qui fait du journal, simultanément, le creuset et l’œuvre. L’aune de Léautaud, avec ses envolées et ses mesquineries, ses inconséquences et ses engagements, ses transcendances et ses quotidiennetés, offre la plus humaine des oeuvres, celle qui se donne malgré sa faillibilité. La proximité littéraire, voilà qui n’est pas le moindre des paradoxes pour le reclus socialisé qu’il était.
Voilà sans doute la matière de ma thèse, et la synthèse du contenu qui figurera dans le fichier central concerné... Le sommeil me gagne, ma BB s’est laisser prendre depuis quelques minutes. Je relirai cette tentative improvisée d’exprimer ce mûrissement en moi à propos de ce travail de recherches.

Samedi 5 octobre, 20h25
Depuis Vernègues, petite localité juchée vers les vents purifiants, lieu de représentation pour la chorale de BB, reçue par la réunion choriste du lieu. Logés chez un couple charmant, la soirée musicale s’annonce par un programme éclectique, depuis les chants contemporains de variété française ou de la renaissance (pour la chorale Arioso de BB) jusqu’aux chants traditionnels de Provence par Lei topins, la chorale hôte du cru.
Après-midi au soleil automnal à quelques petites tâches pédagogiques pour lundi, puis en plongée dans la thèse sur Paul Léautaud, un écrivain en guerre.
De touchantes attentions pour mes 33 printemps : les parents de BB m’expédient une caisse représentative des vins du Cellier (rouge, blanc, rosé et pétillant) ; Louise, la sœur de BB, m’offre un album photographique sur quelques-uns des plus grands écrivains français du XXe (Céline, Montherlant, Duras, Prévert...) parmi lesquels le bougre de Fontenay.
Rien à faire, je ne me sens pas à mon aise dans ces réunions, alors je griffonne par automatisme en attendant le début de la représentation musicale.
23h50. Sous les néons blafards, mais administrativement corrects, la soirée se prolonge sur des rythmes provençaux. Je me complais dans une position de témoin oculaire, peu enclin (et nullement doué) pour la danse partagée. L’ambiance popu à souhait, bon enfant au demeurant, repose l’esprit.

Passage joyeux de Louise, Marie et Laure, deux de ses amies du musée, avant un retour nocturne vers Arles. Une complicité bien agréable pour vivifier la soirée.
Le mouvement de l’existence charrie ses archétypes : l’éternel retour du manège peut lasser celui qui se distancie et ne tente plus d’extraire le meilleur en toute situation. Justifier ses faiblesses, ses médiocrités par un penchant contempteur. Point de salut pour l’âme frileuse incapable d’assumer ses contingences. Le lyrisme hermétique a toujours son petit effet comique. La farandole finale réunit les coeurs pour une humanité si fragile et si proche de la barbare condition.

Jeudi 10 octobre
Après réception d’une lettre délirante d’Elen, décision de lui répondre. [Lettre reproduite ci-dessous.]

Elen,
Je te remercie pour ma crucifixion magistrale : je viens de fêter mes 33 ans ! Comme tu m’y invites à la fin de ton courrier incendiaire, mais si pathétique, je prends le temps de te répondre le plus complètement possible.
Je vais donc reprendre les éléments de ton argumentation enflammée :
Il va te falloir mieux écouter ce que l’on te dit pour que tes attaques aient une quelconque chance d’atteindre leur but : je ne t’ai jamais déclaré que tu t’intéressais aux hommes « uniquement pour assouvir [tes] désirs sexuels » ! Ce que je t’ai rappelé de visu rue tête d’Or, puis au téléphone tient dans un positionnement de principe que tu m’as déclaré à plusieurs reprises lorsque la conversation touchait ce domaine : tu ne pouvais envisager une relation amicale avec un homme qui avait partagé ta vie sentimentale. On est très loin de tes divagations insultantes !
La condition pour que je m’érige « pauvre type » s’avère non remplie : j’étais seul au téléphone lorsque j’ai rappelé ta philosophie relationnelle. Je n’ai aucun besoin de te fustiger devant ma bien aimée pour atteindre la jouissance ! Tu me catalogues tout de même dans les obsédés sexuels, confondant gourmandise charnelle et pathologie déviante.
Je reconnais ma négligence à t’appeler, mais ce n’est que de la négligence et certainement pas de « l’hypocrisie » ou de la « lâcheté ». Si tu souhaites une explication de visu et que je te synthétise ce que je pense de toi (vision affinée par le courrier délirant que tu m’adresses) je suis à ta disposition. J’ai suffisamment pris d’engagements et de risques dans mon existence, affronté le pire, pour me dispenser de tes pseudo leçons de courage... Quant au charcutage pamphlétaire, je le pratique tant à l’oral qu’à l’écrit... Si tu veux te risquer, là aussi je trouverais des disponibilités.
Sur le fond, il semble curieux que tu me reproches ce silence alors que de ton côté tu n’as rien fait pour me relancer (exception faite du petit mot). J’ai sans doute une gestion du relationnel trop relâchée, mais je réponds toujours à quelqu’un qui se manifeste. En me reprochant ce manque d’initiative tu fais œuvre d’abord d’autocritique.
Ma façon de maintenir un lien avec d’anciennes petites amies s’est jusqu'à présent très bien passée, et elle se décide au cas par cas. En l’espèce ta cyclothymie maladive, tes poussées de haine et ta relation à l’homme m’inclinaient à vouloir être transparent quant à ma situation sentimentale. Te voilà à nouveau en contradiction avec toi-même : d’un côté je serais hypocrite, de l’autre je suis déplacé dans mon souhait d’une clarté relationnelle.
Preuve de ton incapacité à t’avouer le vrai sens de tes actes, tu établis la cause première de me revoir dans... la proximité géographique ! Dans ce cas accorde toi le confort d’amitiés de palier, cela répondra davantage à tes motivations.
Une constante de ton courrier est d’attaquer l’autre, d’affirmer que tu ne t’intéresses en aucun cas à lui, que tu n’as jamais rien éprouvé, ou si peu, qu’il ne correspond à aucun de tes goûts physiques ou moraux pour mieux occulter tes propres manquements. Chère Elen, qu’est-ce que cela peut bien me faire aujourd’hui que rien chez moi ne t’attire... je trouve cette remarque dérisoire et pitoyable de médiocrité ! J’ai face à ton aveu des dizaines de témoignages aux antipodes, une vie remplie d’amours formidables et aujourd’hui une adorable compagne qui m’aime passionnément et qui ne s’offusque pas de mes amies féminines...
Mon attirance pour toi ? Elle serait bestiale peut-être, mais sans aucune perspective existentielle, donc sans intérêt. Là encore tu tentes de m’attaquer, comme si j’avais revendiqué le statut risible de « bourreau des coeurs » ! Comparons nos existences, jaugeons les qualités et les défauts réciproques. Je sais ce que je suis et ce que je vaux ; de ton côté tu sembles bien plus douée pour stigmatiser l’autre (de brouillonne façon) que pour juger ce que tu es, persuadée sans doute de détenir la vérité. J’ai appris moi à remettre constamment en cause mes certitudes.
Contradiction flagrante encore lorsque tu affirmes regretter de m’avoir recontacté tout en m’interpellant longuement à l’écrit... peut-être la fierté de déclencher quelque chagrin chez moi ! C’est alors magistralement loupé.
Ton argumentation truffée d’attaques ad hominem tient à l’univers fantasmatique et haineux que tu t’es créé. Tu as sans doute des qualités humaines enfouies au tréfonds, mais ce qui émane de cet écrit tient de l’esprit revanchard, dépressif et méprisant de l’autre.
Ma réponse n’aura sans doute qu’accentué ta certitude d’avoir raison et de n’être touché par rien, et surtout pas par moi (dernier point dont je me félicite pour ton équilibre psychique !), mais elle a au moins le mérite de faire tinter un autre son de cloche que ton délire systématisé.
Quels que soient tes ressentiments, je te souhaite le meilleur.

Samedi 12 octobre
Agréable après-midi de lecture de la thèse de Byung-ok Li sur Léautaud au parc de la tête d’Or qui amorce sa transmutation automnale. Ma BB travaille ce week-end et n’a malheureusement pas pu m’accompagner.
Une semaine qui m’a encore gâté côté amour et amitiés : ma dulcinée qui fête mon anniversaire mercredi soir ; mardi fin de soirée avec Eddy et Bonny au confortable bar sis en haut de la tour-crayon avec une pianiste-chanteuse fort agréable, amie de Bonny ; nuit au club 30 le vendredi soir où je retrouve par hasard une collègue de Forpro qui s’étonne de me voir si expansif et convivial (je reste en retrait de l’équipe pédagogique par esprit sauvage) ; samedi, déjeuner chez moi avec Marie-Noëlle qui nous fait aller dans diverses contrées intellectuelles ; le soir, sortie en bande avec Elo, Jérôme et une charmante Shaïna d’origine algérienne, mais à la beauté indienne. Finalement, point besoin d’étalement matériel pour cultiver ses amitiés : cette fidélité fait du bien à l’âme et réconcilie avec le genre humain. Gardons-les précieusement : Elo, Bonny, Eddy, et peut-être bientôt Jérôme, sont en tête de proue de cette joyeuse amitié.
Le travail m’appelle, mais il me faudra revenir sur le sens de cette nouvelle existence qui se dessine dans une sérénité épanouissante, avec ma BB si douce, si compréhensive de mes penchants et si fidèlement aimante. C’est à elle que je dois avant tout un bien-être retrouvé.

Jeudi 17 octobre
Un entretien téléphonique rapide et décevant en début de semaine avec Jean-Pierre M., mon nouveau directeur de thèse. Tout ce qu’il trouve à me dire sur ma synthèse tient à un style trop compliqué (il pensait certainement « pompeux ») : cela me rappelle mon oncle Jean-Louis qui, découvrant mes poèmes, les trouvait trop chargés en vocabulaire, ou le correcteur de ma copie de français au bac, irrité par un style si sophistiqué ! Tous ces censeurs omettaient seulement de prendre en considération ma grande pratique de l’écriture et que je n’ai nul besoin de leur conception limitative de la langue française : pourquoi ne pourrais-je pas profiter de sa richesse et en quoi l’utilisation des termes précis, même s’ils sont difficiles d’accès, nuit-il à ma pensée ? Avec leurs économies langagières, comment un Bloy, un Artaud, un Mallarmé auraient-ils pu ciseler leur expression ?
Cela augure peut-être mal les rapports que j’aurais avec ce professeur, d’autant plus que l’administration de l’université lyonnaise ajoute une couche de désagrément : me voilà considéré en sixième année de thèse alors que je reprends tout à zéro ! Et pas moyen de leur faire entendre raison sur la couleur mi kafkaïenne mi absurde de leur sacro-saint fonctionnement interne. Que ces culs gras empuantissent le monde nom de Dieu !
Reçu ce jour, par le transporteur Extand, une bien charmante attention de la part de Shue et John : huit verres à vin en cristal de la marque Riedel (dont un qui n’a pas survécu au transport) qui me rappelleront à chaque gorgée le partage si jouissif à Lutry des mets, de l’alcool et des Davidoff.
Mon emploi du temps allégé doit être exploité pour avancer dans la saisie des données qui serviront à ma thèse.
Demain, départ avec ma BB à Paris pour un week-end festif d’anniversaire différé. J’aurais encore été bien gâté de tout côté pour ces trente-trois ans d’existence...

Toujours pas de contrat d’édition pour le Gâchis que Heïm me promettait dans la quinzaine suivant son appel, le 23 septembre dernier. Cela tourne franchement au gag éditorial. Même si le projet parvient un jour à son terme, je ne jugerai cela que justice au regard des multiples retardements et vraie-fausses décisions annoncées. En tout cas, cela ne me fera certainement pas interrompre la visée nouvellement critique de l’univers de Heïm, de sa gestion désastreuse de l’affectif et des jeux divers et manipulatoires qu’il pratique dans la relation humaine. Combien il est bénéfique pour mon équilibre psychique de m’être extrait de ce vase clos névrotique. Et si Sally, de son côté, peut-être en concertation avec Heïm, pensait que ses élans affectifs et son rapprochement allait me faire renouer de façon régulière avec le château d’Au, elle se trompe gravement. Le lien qui subsiste, au nom des trente années partagées (dans le culte de Heïm et/ou dans la forme de vie embrassée), ne donnera plus lieu qu’à d’exceptionnelles et brèves entrevues, sans jamais y mêler ma vie sentimentale (et peut-être familiale). La seule personne qui pourra une fois m’accompagner, par curiosité de cet univers, c’est Shue, en amie. Rien de ce qui fait ma sphère lyonnaise n’y sera convié. Si cela ne leur convenait pas, la rupture définitive s’en suivrait, et ce sans aucun effort de ma part. L’éloignement est tel que cette situation serait même davantage conforme à mon état psychologique que le ressassement sporadique du passé.

Samedi 19 octobre
Chez maman et Jean, de passage avec BB, Jim et son amie Aurélia, une charmante jeune femme à l’allure très douce. Hier, découverte à Paris de l’exposition Matisse-Picasso au Grand Palais. Amusante confrontation d’oeuvres apparemment contraires dans leurs règles de création, mais dans lesquelles on déniche des filiations. Un paradoxe aussi : Matisse, le chantre des rondeurs de trait, de la douceur de l’expression picturale choque par la réunion de certaines couleurs et la tendance hétéroclite de ses compositions ; Picasso, lui, conduit par le goût de la déstructuration, du choc imagé, insuffle une plus grande unité à la plupart de ses créations, et trouve par ce penchant la vraie voie de l’harmonie puissante. Un effet contraire à l’amorce intentionnelle pour chacun d’eux. Une façon d’avoir des instants de concordance artistique qui crée un dialogue affûté entre leurs oeuvres.
Ce jour est dédié aux défoulements physiques et aux plaisirs de la table, ces derniers trouvant un digne écho demain chez papa.
Sérénité du scribouilleur improvisé alors que maman, Aurélia et BB s’affairent à la cuisine, et que Jean et Jim s’en sont allés pour une mission secrète. Les copies emportées toutes corrigées, je vais m’immerger dans les pages retrouvées du Journal littéraire du père Léautaud (volume XIX).

Mardi 22 octobre
Agréable passage dans mes familles. A Parmain, ma mère et Jean forment un couple serein et nous accueillent avec une chaleureuse simplicité. A Rueil Malmaison, mon père et Anna, avec les adorables Alex et Raph, m’offrent un nécessaire raffiné pour tout amateur de vin et un coffret Pousse-Rapière, spécialité gasconne. A trente-trois ans, les plaisirs de la vie s’élargissent et se densifient, sans être béat...

Mercredi 23 octobre
Comme pour avoir le dernier mot, Elen C. me retourne le courrier expédié truffé de rouge comme autant de réponses qu’elle croit judicieuses. Comme elle me le conseille, je ne perdrai pas mon temps à répondre, c’est trop pitoyable. Je la laisserai sur son sentiment de victoire intellectuelle, me réservant un gargantuesque éclat de rire. Cela m’aura beaucoup amusé sur le fond.

Samedi 26 octobre
Vision stupéfiante à l’émission unique Ardisson-Bedos : le chanteur Renaud a une bouille de vieillard imbibé d’alcool, le verbe bafouillant, les mains tremblantes... le loubard de la chanson semble s’autodétruire par des excès désespérés.

Dimanche 27 octobre
La thèse m’aura bien monopolisé ce week-end, et je n’en suis qu’aux prémices préparatifs. Ma BB étant sur le pont de la Sauvegarde c’est trois derniers jours, j’ai focalisé mon énergie sur la sélection de passages utiles à ma réflexion des thèses de Teyssier et Byung-ok Li.
Un petit moment agréable avec Marie-Noëlle dans un café du quartier des Brotteaux. Avant cette pause, passage par hasard à la galerie Saint-Hubert présentant des toiles de l’école d’Etamps. Le tenancier culturel m’indique avoir accueilli les Visionnaires, et notamment son chef de troupe Di Maccio il y a une dizaine d’années, mais qu’il aime moins la tournure récente de son trajet artistique. Les prix semblent en tout cas avoir flambé d’après ses dires. Les deux originaux du château d’Au dépasseront-ils un jour la valeur de la bâtisse ?
Toujours rien reçu de Heïm. Trop occupé, comme d’habitude, sauf lorsqu’il s’agit de manier les cordes affectives pour mieux se rassurer sur son impact persistant. Hé ! aucune aigreur de ma part. Le risible de cette proposition éditoriale toujours recommencée m’amuse plutôt et me conforte dans une méfiance grandissante envers l’auteur de ces promesses à la consistance barbe-à-papaïenne, si on me passe ce barbarisme bancal. Je ne veux même plus essayer d’imaginer l’argumentation justificatrice détaillée à ses proches. Le soubassement du vécu me suffit amplement pour l’éclairage critique.
Comment je serai perçu par cet entourage lorsqu’ils connaîtront la teneur de ces pages ? Sans doute de terrible façon, et bien tant pis si le simple exercice de la liberté d’écriture (au surplus dans un genre intimiste) les révolte. Il me faut d’autant plus contraster avec les dix premières années de ce Journal qui a souvent versé dans le laudatif systématique ou dans le silence approbateur.
Je gratte ces pages en passant à la moulinette de la reconnaissance de caractères (quel outil fabuleux !) les résumés du Nouveau dictionnaire des œuvres du Journal des grands écrivains (Claudel, Gide, les Gourmont, Renard...). Les constantes positives de ce genre à réhabiliter littérairement impose d’avoir une vue synthétique et panoramique des principaux représentants de l’écrit personnel. Toutes ces pages cumulées vont, je l’espère, affiner ma réflexion thésarde !
Mes chères amies Elo et Bonny se sont manifestées à distance aujourd’hui : la première par un coup de fil qui fait le point de l’actualité personnelle. Sa maman, admise quelques jours à la Sauvegarde semble avoir fait une occlusion intestinale ; le vieux chien Babou est décédé ; son Jérôme a dû partir voir sa grand-mère malade, ce qui les a privés l’un de l’autre pour ces vacances de la Toussaint. Pas très joyeux tour d’horizon en somme. Pour tenter d’égayer un peu le tableau, et à l’occasion de vingt-et-unième anniversaire le 29 octobre, elle vient manger avec nous mardi soir. Cette amitié affective a pris un rythme de croisière qui préfigure de belles années de confiance réciproque.
Bonny m’envoie un texto pour nous inviter à passer au Club 30 ce soir : ma BB sortant tard de son travail, et moi me levant tôt demain, j’ai décliné avec regret l’invitation. Là aussi, j’ai une personne fiable, enthousiaste et avec qui il fait bon partager des instants d’amitié. Par contraste, amorce illusoire d’un lien cordial avec Muriel (rencontrée au parc cet été) qui n’a eu aucun scrupule à nous poser un lapin. Aucun intérêt d’approfondir, y compris à l’écrit.
En attendant ma tendre BB, un Bond de derrière les fagots, le premier avec Pierce Brosmann, pour délasser cette fin de studieuse journée.



Mardi 29 octobre
Reprise des premiers volumes du JL pour me rafraîchir l’ambiance littéraire des premières années de Léautaud diariste. J’en suis parvenu à 1905, année de ses trente-trois ans, où il semble aussi peu arrimé que moi en matière professionnelle : fin de sa collaboration juridique avec l’étude Lemarquis, il est en quête d’un lien régulier avec une revue de province, mais l’ombre bénéfique du Mercure de France se précise. Lu il y a quatorze ou quinze ans, je ne pouvais apprécier certains de ses états d’esprit comme aujourd’hui. Son rapport à la femme semble bien ambigu, malgré des principes clairement définis.
Prévenu par mon père de l’escroquerie intellectuelle d’un appel via Internet à la déforestation en Amazonie. En fait, récupérer un maximum d’adresses Internet pour les polluer de publicités sauvages. Ma première adhésion à une pétition sombre d’entrée.
Ces quelques lignes depuis le parc Tête d’Or, fin d’après-midi aux couleurs automnales, le vent se levant au rythme du soleil qui disparaît derrière les hauteurs lyonnaises.
Elo fête ce jour vingt-et-un printemps. Nous ne la verrons peut-être pas jeudi soir car ses migraines la reprennent et elle va ce jour à Annecy pour sans doute rencontrer un spécialiste des céphalées.
Ma courageuse BB court pendant que je gribouille ces carreaux. A chacun son entraînement.
Je vous salue Mahomet !
Après la prise d’otages de Moscou, la violence chimique de la libération pour ne pas perdre la face politique laisse songeur sur les méthodes employées face à un terrorisme de masse. Peu de chance qu’on connaisse la vérité qui, de toute façon, ne nous rassurerait en rien sur le versant sanguinaire persistant de l’humanité. Autant dans mon relationnel de proximité je suis de plus en plus social et philanthrope, autant les soubresauts délétères des civilisations m’inclinent à un dégoût définitif pour mes congénères.
Le prisme médiatique accentue certainement l’horreur du monde, mais les causes des conflits, les motivations des massacres demeurent aussi primaires qu’aux millénaires passés, la technique ajoutant une sophistication aux aberrations humaines.

Jeudi 31 octobre, 23h45
Entre deux plongées dans les écrits de ou sur Léautaud, je m’accorde quelques moments pour saisir la suite de mon Journal pamphlétaire, l’année 2000. Choc de découvrir des passages si désespérés où je me lamente sur une solitude insatisfaisante jalonnée de relations successives sans pérennisation possible. Combien cet état d’esprit me semble loin aujourd’hui. Je ne peux certes plus assouvir ma gourmandise sexuelle de la découverte, mais j’éprouve une profonde sérénité dans la dualité constructive.
A une personne aimée s’ajoute le tissu relationnel qu’elle induit ou dont elle permet l’épanouissement. A ma démarche d’isolement mal vécu s’est substitué un dosage opportun pour mon caractère entre instants de dualité, plages appréciées de solitude et entrevues amicales maîtrisées. Les plaies passées me servent aujourd’hui comme gage d’expériences pour légitimer mes propos ou asseoir mon rapport aux autres dans une assurance enflammée. Je crois mieux connaître mes limites existentielles, et je n’éprouve aucune limite intellectuelle si ce n’est celle de ma propre intelligence. Ces pages permettent, au-delà d’un quotidien assaini, de jauger et juger les apports et les amputations du passé.
Mes retrouvailles affectives avec des parents qui, depuis qu’ils ont trouvé l’âme sœur (merci Anna et Jean) se sont comportés d’exemplaire façon avec moi, ne valent-elles pas mieux que le malaise diffus éprouvé en côtoyant les Gens du Nord ? Heïm et ceux qui lui sont proches ne peuvent que compliquer votre rapport au monde et hypothéquer la rencontre de votre vraie dimension. Il m’a fallu cet exil lyonnais volontaire pour enfin me rapprocher de ma nature, de mes aspirations (si modestes soient-elles) sans subir l’oppressante présence qui se targue de ne vouloir que votre bonheur. Tartufferie minante pour le moins. Il me faut, peu à peu, décortiquer à l’aune du vécu les failles, les travers et les dangers de cet univers que j’ai si passionnément défendu. Encore une fois, je ne renie rien de mes choix antérieurs, mais je trouve salutaire l’évolution intellectuelle et de se débarrasser des vérités révélées, de triturer les reliques imposées.

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