Juillet

Mercredi 3 juillet
Le séjour dans l’antique Arles avec BB, chez sa sœur Louise, s’est modelé du plus plaisant imprévu. Une amie d’A.-C., rencontrée au hasard des rues (Violaine) et son compagnon, eux-mêmes recevant un autre couple (Aurélie et Amib) et voilà une joyeuse troupe constituée pour atteindre la plage de rêve au fin fond de la Camargue, vers le phare de la Gachole. L’occasion de découvrir l’agréable convivialité de ces jeunes gens lors d’une marche complice (mon esprit était dans un de ses bons jours où les réparties fusent et rencontrent un public réceptif), puis d’une pêche improvisée aux tellines.
Le dimanche, repas autour de cette prise (trois kilos environ de ces petits coquillages fort goûteux) avec le duo ‘tite Marie (la jeune femme découverte par son écriture) et Fabrice en plus. A neuf dans le petit appartement de Louise les accents plaisants sont confirmés.
Elo n’a pas réussi sa première année de GEA. Les céphalées répétées et l’hospitalisation auront hypothéqué ses chances. Avec une moyenne de 9,77 elle n’est pourtant pas passée loin de l’exploit, d’autant plus qu’un dossier à 9,83 est passé. Je file ce matin vers Saint-Cyr pour finaliser un courrier au directeur de l’iut dans l’espoir d’une révision de la décision.
Un déjeuner chez moi avec BB et Elo.

Vendredi 5 juillet
En attente de ma correspondance à Lausanne. Cinquante minutes de battement pour quatre minutes de voyage jusqu’à Lutry : si je n’avais pas ma grosse valise à roulettes, j’aurais choisi d’y aller à pied.
Le plus attachant des bourrus
Lecture de quelques semaines de l’année 44 dans le volume XVI du JL de Léautaud : l’horreur ressentie et inscrite face aux massacres systématiques (comme celui ayant eu lieu en Pologne au début de la guerre et rapporté dans Combat) confirme la totale absence chez lui d’idéologie mortifère ou de complaisance envers celle qui prônerait de passer par le sang pour l’accomplissement de la doctrine défendue.
Peut-être que le meilleur biais d’étude, pour ma thèse, serait de montrer combien le Journal permet de saisir dans toute sa complexité (et ses contradictions le cas échéant) la philosophie d’un homme sur toute une existence. Sans mise à distance calculatrice, sans mise en scène a posteriori, le JL trace sur le vif les sentiments, le ressenti, l’humeur de son auteur. L’écriture authentique d’un diariste a sans doute plus de peine à être attractive, pour le lecteur, parce qu’elle ne se pare d’aucune construction préméditée et limite son esthétisme à la spontanéité plus ou moins talentueuse du premier jet. La transcription linéaire, parcellaire et subjective de ce qui compte à l’instant T de l’action d’écrire a pour seule cohérence la fresque existentielle en cours d’édification et dont l’achèvement s’impose au diariste.

Samedi 6 juillet, 18h
De la flotte pour ce deuxième jour à Lutry, après un vendredi radieux.
Hier après-midi passé avec Shue, John étant en déplacement professionnel, et Marie qui s’est bien remise de sa tuberculose (mais son traitement se poursuit sur plusieurs mois).
Immense plaisir de retrouver pour quelques heures une dualité amicale avec Shue. La finesse de son analyse psychologique sur ma relation avec BB m’a confirmé sa grande qualité intellectuelle et son sens des autres. Si notre lien se pérennise (ce qu’elle croit et souhaite) BB aura la tolérance implicite de laisser exister mes besoins de séduire.
Repas et soirée partagés avec Marie, toujours aussi fascinante dans son mysticisme, mais qui a su s’ouvrir à d’autres sujets plus prosaïques. Passage chez elle après une promenade dans Lutry : elle me laisse découvrir son book de photos de sa période new-yorkaise où elle tenta la carrière de mannequin (étonnante capacité à multiplier ses visages, et d’une très belle facture esthétique), et sa dernière œuvre en cours sur les étapes essentielles de son existence. Des mémoires métaphorisés, aux accents spirituels, découpés en brefs contes qui dépeignent quelques tranches de vie. Elle me montre aussi la correspondance reçue du directeur littéraire de Grasset, avant et après une entrevue à Paris, sur son récit inspiré. Côté foi : elle a pris conscience qu’elle n’est pas faite pour la vie en communauté religieuse ; elle est en contact mensuel avec un directeur spirituel qui l’incline au renoncement provisoire à la création (écriture, peinture) et teste chez elle sa capacité d’obéissance. Toujours célibataire, elle attend ses trente ans (le 18 décembre prochain) pour envisager une nouvelle rencontre sentimentale.
A noter : Alise, l’avocate new-yorkaise que je dois voir le 15 juillet prochain à Paris, est la petite fille de l’ex grand roi d’Ethiopie, Haïlé Selassié. Cela explique l’aristocratisme qui émane d’elle avec sa noblesse de port.

Lundi 8 juillet, 0h30
Dernière nuit à Lutry, comme toujours accueilli comme un prince par Shue. Des moments de pur plaisir : cette fin de déjeuner sur un transat, lac Léman sur fond d’Alpes face à soi, un verre de cognac dans une main, un Davidoff préparé par John dans l’autre et le Journal littéraire de Léautaud comme univers d’accompagnement ; ces quelques longueurs à la brasse dans la piscine du Lausanne Palace, suivies d’un farniente dans le jacuzzi adjacent. Des moments festifs : passage au festival de Montreux. Des moments de quiétude et de curiosité : accompagnement de Marie et d’une amie, Servane, dans une communauté religieuse pour une représentation musicale, la mise en musique de poèmes de Sainte-Thérèse de Lisieux, entre autres choses.

Retour à Lyon pour une soirée au festival Jazz à Vienne avec BB.
A noter que cette immersion éphémère dans l’ambiance d’une communauté religieuse a confirmé mon sentiment contradictoire : adhésion aux messages constructifs et à une certaine morale ; rejet du conditionnement sous-jacent et de l’anthropocentrisme qui sous-tend les dogmes religieux.

Dimanche 14 juillet, 11h30
Ce troisième jour au Cellier offre un bleu méditerranéen. Parents, frère et sœur de BB toujours aussi accueillants. Le bon esprit affectif qui règne dans cette famille repose l’âme. On ressent la vraie tendresse de part et d’autre, la plus démonstrative étant Louise. La bouille et le regard gentil du père m’ont d’emblée conquis : une crème d’homme en fait. Aucune prise de tête pour moi dans cet univers où je me sens très apprécié, ce qui n’empêche pas des débats passionnés, comme sur le classique conflit israélo-palestinien hier au soir.
Je délaisse ces pages pour mieux me plonger dans le JL de PL, le volume XVII est entamé.

Lundi 15 juillet
Journée balnéaire avec la famille B à… Pornic, lieu de villégiature de Léautaud chez le Fléau. Le 5 septembre 1946, alors qu’il s’y rend depuis des années, il confie s’y être ennuyé la plupart du temps. Aucun sentiment de cette sorte pour ma part. Après un déjeuner tardif à la Gourmandine, aux crêpes et galettes goûteuses, passage dans une des petites cryptes rocheuses qui offrent des plages réduites, ronds de sable encastrés. Malgré la marée basse et les rochers saillants, immersion dans l’eau vivifiante sur les traces de François (le frère de BB) davantage motivé. Soirée avec BB chez sa plus ancienne et plus chère amie, Marie-Laure. Le petit garçon de cinq ans, qui se croyait en liens privilégiés avec BB, boude ma présence. Leur conversation sur les enfants dans un couple, l’importance d’en avoir (nos hôtes ont eu les plus grandes difficultés à en concevoir un) m’a mis un peu mal à l’aise.




19h05. Fin du passage exprès à Big Lutèce. Alise toujours radieuse, l’enthousiasme sans pause : nous avons improvisé une pérégrination parisienne après le repas partagé avec son amie Manale. Passage au musée Dalí de Montmartre où je n’ai pu résister à l’achat de quelques reproductions de grands et petits formats. Approche très rapide de l’arc de triomphe avant de rejoindre Adèle et Nidia près du musée du Louvres. Encore une journée comme un clignement, avec le sentiment de ne pas avoir assez densifié le trop bref temps imparti.
Avec Nidia, évocation rapide de mon Journal : elle se demande où en est sa publication (la « saga familiale » l’a-t-elle nommé). Je lui apprends (ou lui confirme si Sally l’avait déjà informée) que ce projet éditorial est avorté mais ne m’empêche aucunement de poursuivre. J’ajouterai, pour ces pages, qu’il prend ainsi sa dimension de voix indépendante, anonyme et sans illusion. Plus de perspective de piètre gloriole et d’une existence officielle de cette fresque subjective. Reste l’accumulation sans fard du ressenti. La seule voie d’équilibre psychique et de lien avec l’écriture spontanée demeure ces élans sans consistance.
Dans le TGV à moitié vide, sous la grisaille automnale, une beauté distante accompagne cette traversée ultra rapide, cicatrice d’acier, sans me décocher un regard. Une puissante fidélité à ses objectifs existentiels, peut-être à son amour. Je devrais faire mienne cette imperméabilité à l’alentours et me concentrer sur ce qui m’est déjà offert : mon amour BB, ma thèse débutée, mes chères amies. La multitude relationnelle n’apporte finalement que des remplissages en trompe-l’œil et liquéfie la trajectoire que l’on tente de suivre.

[Courriel à Martine S.]
Mardi 16 juillet, 12h39
Objet : Re Beausoir
Toujours votre ton si lyrique... je vous souhaite le plus beau des voyages...
Pour moi la vie se déroule agréablement : mon histoire avec BB se poursuit, j'ai relancé un projet de thèse de lettres sur le Journal littéraire de Paul Léautaud, je multiplie les week-end prolongés chez des amies, je poursuis l'écriture de mon Journal.
Voilà synthétiquement... J'espère que nous nous reverrons un jour.
Avec toute mon affection.
Loïc

Samedi 27 juillet, 1h30 du matin
Vu jeudi soir, sur Canal +, le spectacle barbare de la tauromachie. Préjugés très hostiles à cette cruauté ludique, je profite de ce hasard d’un zapping de fin de soirée pour me faire une idée plus précise du cirque en paillettes sanguinolentes. Bilan : je comprends mieux la fascination, voire l’envoûtement, produits par ces exhibitions. Les toreros s’y montrent stupéfiants de détermination dans l’arène, se faisant frôler par la bête enragée de s’être faite charcutée. Contraste de la perception qui ne doit pas occulter que jouer avec la vie d’un animal pour son seul plaisir est d’abord et avant tout inexcusable.
Dans un tout autre registre, vu ce soir, aux Nuits de Fourvière avec ma BB, la comtesse aux pieds nus du Cap Vert, Cesaria Evora. Magnifique voix, mais présence timide sur scène. 19h40. L’estival sans concession. Une ballade avec BB près des étangs de Saint-Julien, dans l’Isère. Ce soir, nous dînons chez la famille F. et le dimanche chez les C., dans leur paradisiaque demeure à Charly, pour un farniente avec piscine…
Tension musicale
Le dernier titre des Coldplay confirme mon enclin pour leur teinte musicale, une espèce d’état de tension semi dramatique qui glisse avec retenue vers l’éclatement. Un lyrisme mélodique qui m’enchante.
Retour quelques instants au volume XVII du Léautaud, année 48…

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