Janvier/Février

Mercredi 2 janvier, 1h
A sept heure trente, BB devrait venir se blottir contre moi, m’entourer de ses longues jambes après sa nuit de travail aux urgences. Notre amour s’amplifie de très prometteuse façon et je me sens en phase avec son âme et son corps.
De retour, depuis hier fin d’après-midi, de Chalon-sur-Saône après avoir passé la Saint-Sylvestre avec Karl, Estelle, Amélie (les deux jeunes filles rencontrées à Royan) et quelques-uns de leurs amis. L’éloignement de ma BB, de garde, et quelques insatisfactions ont provoqué et entretenu un passage ronchon lors de cette veillée. Karl a ressenti les mêmes choses et les critiques sur la fin de soirée se rejoignaient. Malgré tout, très heureux de retrouver les deux foliettes… chacune ayant une histoire sentimentale en cours.
Aucun signe de ma part aux gens du Nord.

Dimanche 13 janvier
La vie se poursuit en bonne phase avec BB, la plume rare par un tarissement de l’intérêt pour laisser des traces avortées.
Mon aventure gestionnaire apporte une dimension incomparable à mes argumentations sur la liberté d’entreprise et le débat sur la mondialisation.

Jeudi 24 janvier
Vague signe pour une fidélité littéraire en perdition. Mes semaines défilent et se partagent entre mes interventions pédagogiques via Acadomia, Forpro, Galien, et l’approfondissement de la douce relation avec BB.
Une résolution pour la rentrée 2002 : accentuer mes interventions auprès des bts en trouvant d’autres organismes de formation que Forpro sur Lyon, et surtout dénicher un directeur de thèse lyonnais pour entreprendre et mener à terme (cette fois) une thèse de lettres sur Paul Léautaud et son Journal littéraire selon un prisme à déterminer. Une phase constructive en perspective, et pas de risque de brouille avec l’auteur choisi !
Revu Elo samedi dernier qui a quelques problèmes de santé. Une complicité amicale suivie.

Samedi 16 février
Plus d’enclin à rédiger… Quelques passages furtifs suffiront à garder le lien et les traces nécessaires.
Jeudi soir, une première pour BB, et un délice pour moi : une Saint-Valentin partagée chez Fernand Duthion, restaurant gastronomique Les Grillons. Elle est vraiment agréable à vivre et notre intimité évolue favorablement.
Plus de contact avec le château, et cela me va parfaitement.
Projet de trouver d’autres organismes de formation pour des interventions en culture générale auprès de bts. J’abandonnerais alors les bac pro et les bep dont l’immaturité et parfois l’illettrisme ne me motivent pas. Je ferai de même pour l’institut Galien qui me prend trop de temps. Je pourrai ainsi lancer cette thèse, si un directeur l’accepte.
Eu Sandre ce jour au tél. : je suis le premier à savoir son projet de mariage avec son ami en juin prochain, et ce à l’étranger.
La vie s’écoule sans aspérité pour moi, une espèce de repos existentiel après avoir été tant sur la brèche.
La plume Waterman qui glisse sur cette page m’a été offerte par ma douce BB, elle se substitue ainsi à mon Shaeffer… Parfois l’impression de faire du remplissage ici… peut-être devrais-je revenir au commentaire de l’actualité. A suivre, peut-être…

Dimanche 17 février
Quelles que soient les critiques adressées à notre forme de régime, il faut tout de même le remettre en perspective. En Afghanistan le stade de football servait de lieu d’exécution : les Ben Laden and Cie, arrivistes et sanguinaires, en étaient les protagonistes. Chez nous, on utilise le Stade de France pour faire découvrir les jeux de glisse aux enfants de milieu modeste. Un univers de civilisation entre, non ? Alors que les défenseurs, affichés comme Dieudonné ou hypocrites comme nombre d’autres, du criminel Laden aillent s’immerger dans la barbarie qu’il défend.

Mars/Avril

Samedi 16 mars
Agréable soirée chez un couple d’amis de BB, parents d’une infatigable petite fille, Jade. Evocation avec l’homme de l’imbroglio israélo-palestinien, de l’effroi ressenti face à la barbarie avouée dans le documentaire en trois volets, L’Ennemi intime, par des ex soldats de la guerre d’Algérie. Tous ces individus ordinaires qui peuvent s’adonner à la plus abjecte bestialité, pire même car sans objectif vital, me sidèrent. Le long chemin vers ce que l’on prétend humanité ne laisse augurer que tripes à l’air, boucherie toujours recommencée et inutiles massacres.

Dimanche 17 mars
Très bon ancrage de ma relation avec BB. Le sérieux constructif (avec enfant(s)) est en ligne de mire.
Les relations lyonnaises se pérennisent : avec Elo l’amitié complice s’affirme, avec Bonny un suivi pétillant… Rupture avec Katia qui n’a pas assumé la relation qu’amicale que je souhaitais. Un week-end de Pâques chez Shue et John avec BB. Très entouré et occupé finalement.
Et l’écriture ? Quelques rogatons parcellaires. Je retourne au décryptage de Bachelard en vue de mon intervention mardi prochain à Clermont Ferrand pour les étudiants qui préparent le CRPE par Galien.

Mercredi 3 avril
La villégiature chez Shue et John, dans un Lutry radieux, a été très agréable pour BB et moi. Toujours miné par le regard des autres sur ma dulcinée, j’ai cru déceler chez Shue, dans son manque d’enthousiasme, dans ses non-dits (elle si prolixe à l’analyse normalement), un refroidissement à l’égard de BB. Envoi d’un petit mail hier pour éclaircir l’affaire. Sa réponse lapidaire (« Pourquoi tu me dis ça ? ») ne fait que me renforcer dans mes impressions premières. Quoi que puisse m’avouer Shue, je ne dois me fier qu’à mon ressenti pour BB, sans influence extérieure. Quels que soient ses défauts, je dois peser les immenses points positifs qu’elle m’apporte, sa gentillesse extrême et la douceur de sa quotidienneté.
Déjeuner ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles éparses des gens du Nord et de certains membres de sa famille.
A noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a « massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale. Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me rappelle, rue Vercingétorix, les restes du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve sa source directe chez sa mère. 
J’ajouterais que les discours et les comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le meilleur des exemples au fils magistrat.
Très agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement de Hubert concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif, mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède plus aucune part dans la SCI du château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.

Le gouvernement jusqu’au boutiste d’Israël s’adonne à de très inquiétantes répressions guerrières. Des actes antisémites se multiplient dans le monde. Quand comprendront-ils qu’il faut passer outre les attentats des kamikazes palestiniens et décider un acte fort tout de suite : le retrait des territoires occupés. C’est la seule façon de créer un électrochoc favorable à la reprise des négociations. On sombre dans cette infernale loi du talion qui n’aboutit qu’au sacrifice d’êtres humains chez les deux belligérants avant l’inéluctable accord qui devra, dans un an, un siècle, dix siècles, s’imposer. Nous avons bien connu cet engrenage avec l’Algérie.
Avec tout ce que l’histoire de l’humanité nous a appris, continuer ces processus à œillères constitue des involutions bien plus graves que celles de nos aïeux, car beaucoup plus aisément évitables. Pitrerie que la conscience universelle : les particularismes barbares règnent sans partage.

Jeudi 4 avril
Terne, terne l’arrière-cour présidentielle. Avant-hier Chirac : à moitié agressif, sans panache, rivé sur ses généralités pontifiantes, agacé par le moindre titillement journalistique. Hier Jospin : technicien rébarbatif, incapable d’alléger par un peu d’humanité joyeuse ses empesées démonstrations, ignorant tout clin d’œil des journalistes en ce sens (cf. l’allusion à sa nouvelle fonction filiale, grand-père, à moins que l’exclusivité à Paris-Match ne lui interdise de relever toute référence à ce thème privé). Et derrière, la flopée des petits candidats qui s’offusquent de cette ségrégation intellectuelle. Un premier tour au beau milieu des vacances scolaires, comme un signe supplémentaire pour le citoyen d’éviter le déplacement électoral face aux congés des idées. Les seuls moments d’émotion de cette campagne auront été les deux faits divers identifiables par leur lieu de déroulement, selon le procédé de la métonymie viticole : Evreux (le père battu à mort alors qu’il venait défendre son fils racketté) et Nanterre (carton d’un détraqué sur le conseil municipal).
Je ne sais de quoi va se composer ma future année professionnelle et si je vais effectivement me lancer dans un nouveau projet de thèse, à tenir cette fois sous peine de me vautrer dans le ridicule. Galien, où je suis en ce moment même (colle pour les médecines de Grange-Blanche), s’arrêtera alors après quatre ans de loyaux services. Trop de temps passé sur les ouvrages au programme pour l’année suivante. Je devrai consacrer mon été à Léautaud.
Mon existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences du chef de la mesnie embryonnaire (suite aux dégraissages successifs). Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans doute…
Lorsque Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule n’est pas parfait. Ce clonage mental me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces présentes, amoindries).
Laisser l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).



Mardi 16 avril

Le plus attachant des bourrus
Livraison hier soir, par Louise, la sœur de BB, du Journal littéraire de Léautaud, en dix-neuf volumes, publié dans la décennie 50, pour l’essentiel, au Mercure de France. 1 500 francs (220 euros environ) chez un bouquiniste nantais : une affaire m’ouvrant la jouissive perspective d’une replongée dans cette fresque socio-intimiste des volumes XIII à XIX. L’œuvre majeure de Léautaud enfin dans ma bibliothèque. Je vais pouvoir rendre le volume XIII, emprunté voilà plusieurs années à Heïm et dont la lecture s’effectuait entre éclipses dominantes. Le plaisir de retrouver ces pages au papier épais, presque de chiffon, ces couvertures blanches, à la sobriété trompeuse pour qui se risque à les ouvrir, ce parfum de vieux bouquin bien conservé, à l’âge serein pour délivrer l’expérience d’une vie d’homme. Me reste à trouver le directeur de thèse pour m’immerger totalement dans le monde de Léautaud : la galerie de portraits des gens qui comptent dans la littérature, ceux fustigés, les allusions à une actualité à recomposer.

Jeudi 18 avril
Affligeant l’absolu manque de curiosité intellectuelle de la plupart des étudiants que je suis. Confinés dans leur prêt-à-vivre sans surprise, le ludique décervelant anime seul leur piètre existence.
Je n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. 
Je me sens vraiment étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler que le jugement de liquidation de la SERU devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à l’effondrement éperdu.

Mai/Juin

Samedi 4 mai
Les quinze jours de campagne anti Le Pen se sont achevés. Dimanche, Chirac devait se voir confier un nouveau mandat pour le premier quinquennat de la Ve. Curieuse atmosphère d’un consensus horrifié par ce challenger gagnant pour le deuxième tour. Certes, un Le Pen à l’Elysée mettrait la France au ban de l’Europe, voire du monde, mais sa fonction d’aiguillon de la vie politique me semble salutaire. La cohabitation a en tout cas démontré qu’elle était viable sur le plan institutionnel, mais dangereuse politiquement : les extrêmes trouvent alors toute leur légitimité pour contraster avec l’indifférencié à la tête des pouvoirs exécutif et légis­latif.

Quant aux manifestations anti Le Pen, elle me semble une quasi contestation du système démocratique lorsqu’il ne répond pas au sens attendu par certaines populations. La haine ne vient pas que d’un côté.
Pas les mêmes idées politiques avec ma BB mais, peu importe, notre lien se pérennise. Hier, pétillante soirée avec le couple Eddy et Bonny : l’amitié se confirme.

[Courriel à Laurence H.]
Mercredi 15 mai, 10h24
Objet : Important
Chère Madame,
Je vous ai appelé ce matin, mais vous n'étiez pas disponible, et cette après-midi je ne pourrai pas vous téléphoner.
Après quelques semaines de réflexion, je suis au regret de mettre un terme à mes interventions en culture générale auprès des pharmacie et des Grange Blanche de Galien. Je souhaite relancer ma thèse de lettres et je dois consacrer mon été à la lecture de l’œuvre de l'auteur étudié. Je ne pourrai cumuler cette tâche avec l'étude des œuvres au programme des étudiants.
J'ai été très heureux de ces quelques années de collaboration. Transmettez mon meilleur souvenir à Monsieur G. (Je reste en revanche disponible pour d'éventuelles interventions dans la section Comenius-CRPE.)
Avec mes sentiments attentifs.

Mardi 21 mai
Vu quelques passages de l’émission Ça me révolte qui dénonce les criminels de la route. A vous dégoûter définitivement de la nature humaine… Des porcs décervelés et lardés d’impunité : voilà la mutation qui s’opère chez les lambdas qui prennent le volant. Pour tout individu qui occasionne la mort ou des blessures irrémédiables, il faudrait deux mesures simples : la traduction devant une cour d’assise, et non la correctionnelle (il s’agit d’un crime et non d’un délit) et surtout l’annulation définitive du permis avec l’impossibilité de le repasser. Il faut mettre ces criminels hors d’état de nuire : et il y en a quelques dizaines de milliers en France. Evidemment, pas un politique n’aura le courage de prendre ces dispositions. On fait du sécuritaire pour rassurer les braves gens (et sans doute à juste titre), mais les dix mille morts par an sur les routes ne méritent pas un grand coup de latte dans le lobby automobile. Ça me fait gerber !
Il y a quelques jours, rêve (cauchemar ?) que les gens du Nord reprenaient contact pour un nouvel enrôlement professionnel avec toutes les angoisses adjacentes. 
Aucune envie de les revoir. La mort de Heïm changera peut-être la donne, mais je crois ne plus rien avoir à leur apporter, et réciproquement.


Encouragement d’Elo par texto en fin d’après-midi. Elle passe ses examens cette semaine. Son copain Jérôme aurait été agressé dans le métro, mais je n’en sais pas plus.
J’ai sans doute trouvé (grâce à un contact fourni par Judith L., collègue de Forpro) mon directeur de thèse pour mon projet d’étude sur Léautaud. Ma plongée dans la suite du Journal littéraire prend un rythme de croisière : le XIVe volume bien entamé. La période de la Seconde Guerre mondiale révèle un Léautaud loin du monolithisme collaborateur ou résistant. L’ensemble de ses analyses, de ses jugements à l’emporte-pièce et de ses humeurs forment un tableau au clair-obscur où seule compte son indépendance d’esprit.
Ce soir, en cherchant un bouquin pédagogique, je vois les gros volumes de la collection Bouquin sur le Journal de Jules Renard, les trois tomes de celui des Goncourt… Si j’y ajoute ceux de Galtier Boissière (que je ne possède pas), de Charles Juliet (prêté – le vol. I – par Marie-Pierre C.) et de Jacques d’Arribehaude… je ne suis pas prêt à me mettre à la lecture de romans !
Bientôt une heure du matin et il faut que je provoque mon sommeil réfractaire…
Si je pouvais être plus régulier pour la tenue de ces pages…
Oublié d’indiquer ma décision de ne pas reconduire ma collaboration avec l’Institut Galien. Consacrer mon été à lire les ouvrages des médecines et des pharmacies, au lieu de m’immerger dans Léautaud, ne me semblait pas sage. Je compenserai la perte financière par quelques cours particuliers qu’Acadomia m’aura dénichés.
Les services secrets américains soulignent qu’une nouvelle vague d’attentats islamistes menace. L’opération américaine de démantèlement des réseaux concernés n’intéresse plus nos médias car elle s’inscrit dans la durée et non dans le spectaculaire éphémère. Un été explosif aurait lui, sans aucun doute, plus d’échos.
Entre mon esprit vagabond et la feuille de papier, si irrégulièrement noircie, une déperdition majeure. Combien de réflexions, de sentiments, d’impressions passés à la trappe par fainéantise littéraire ? Pas cela qui entamera l’anonymat qui s’amplifie les années passant.

Mercredi 23 mai
Hier soir, appel d’Elo (en pleine semaine d’examens pour sa première année d’iut). Elle me confie les tenants de son nouvel embryon d’histoire sentimentale. Une amie de plus en plus chère que cette Elo. Emouvant de se rappeler la première entrevue lorsque le bus nous a mené ensemble vers Saint-Cyr, sans que nous nous connaissions, pour le premier cours de français à donner. Ce suivi humain enthousiasme l’âme.

Samedi 26 mai
A Parmain pour la fête des mères, après une après-midi intense en défoulements physiques. Entre tennis et ping-pong, le corps s’est échauffé à point.

Jeudi 30 mai, 1h50
Appris la mort du journaliste non voyant Julien Prunet (?), à 29 ans, qui tenait une chronique quotidienne sur France Info. Pincement au cœur d’émotion pour cette jeunesse enthousiaste et ambitieuse stoppée nette par la Camarde… saloperie de mort !
Que de pages noircies pour quel contentement illusoire ? Inutile babil littéraire qui demeurera dans l’anonymat. Aucune chance qu’il sorte de ces carreaux, à moins d’un acharnement posthume qui ne me regardera plus. Moi qui croyais pouvoir faire carrière dans l’écriture, quelle baudruche !

[Courriel à Claire D.]
Vendredi 31 mai, 16h21
Objet : Bravo !
Une sorte de veinarde tu es !!! Je suis ravi de ces perspectives de détente qui s'offrent à toi... après ce dur labeur. Et sais-tu déjà les contrées qui vont avoir le plaisir de t'accueillir ? Et quel genre d'aventure tu projettes ?
Pour notre entrevue, j'espère que la semaine de juin de ma présence te trouvera encore à Paris...
Et à Lyon, tu y es passé ces derniers mois ?
Curieux, toujours curieux je suis...
Je m'éclipse. A bientôt.

Lundi 3 juin
Ce week-end, ma BB s’est produite avec sa chorale et une autre venue d’Aix-en-Provence. Jolie prestation. Notre relation se poursuit dans la sérénité.

Elo devient vraiment une amie quasi fraternelle. Elle se confie de plus en plus à moi et semble accorder beaucoup d’importance à mes conseils. En partant de chez elle, dimanche après-midi, elle me dit avoir envie de me confier tout cela, car je suis son ami le plus proche, un peu comme son frère. Très touchant que cette relation prenne ce tour.
Après une petite enquête téléphonique (très rapide) je retrouve Aline L., à Paris depuis deux ans après sa séparation avec son mari installé en Angleterre. Je dois dîner avec elle lors de ma semaine parisienne, le 19 juin.

Mardi 4 juin

Le Conflit de 100 ans ?
Ce soir, un Théma sur le conflit israélo-palestinien et ses deux figures de proue antagonistes : Arafat et Sharon. L’inextricable situation devra bien un jour déboucher sur un accord : manque toujours chez l’être humain cette capacité à prendre de la distance par rapport à ses propres intérêts, pour une mise en perspective de l’intérêt global.
La diffusion, ce matin, à six auditeurs en BTS (du centre ressource dont je m’occupe à Forpro) de L’ennemi intime édifie sur la nature humaine et n’incline pas à croire en elle. Echapper à ces dérives collectives, qui me donnent la nausée, explique peut-être mon absence d’attachement amical à des hommes, hormis lorsqu’ils deviennent compagnons d’amies préalables (cas d’Eddy, l’amour de Bonny connue célibataire).
Ma tournée relationnelle déjà évoquée se charge en plus d’une entrevue avec Manon autour d’un verre, ce jeudi à 11h30 au Bar américain. Elle semble avoir déniché le grand amour, ce qui m’enchante.
Plus de contact avec les gens du Nord, et c’est un soulagement. 
Je n’éprouve pas l’once d’un regret, d’une quelconque nostalgie face à mon éloignement. Les apports réciproques ont été largement épuisés.

Jeudi 6 juin
Mon débarquement littéraire dans les contrées littéraires de Paul Léautaud prend forme. Depuis hier, Jean-Pierre M. (spécialiste de Henri Michaud) est (pas encore administrativement) mon directeur de thèse.
Mon objectif littéraire se précise lui sur l’oreiller en ce début de matinée : montrer et démontrer en quoi le Journal littéraire constitue en même temps le creuset où s’élaborent, s’affirment et s’affinent les principes littéraires, moraux, psychologiques et comportementaux d’un homme de lettres, et l’œuvre littéraire d’une vie, dont la cohérence ne résulte pas d’une pause intellectuelle, mais du tracé existentiel de son auteur.
En arrière plan, tentative de restituer au genre diariste toute sa valeur littéraire.
Projet de titre, Le "Journal littéraire" de Paul Léautaud : du creuset à l’œuvre.

Samedi 8 juin, 2h… du mat.
Vu ce soir Manon et son amie Samia, toutes deux adorables, d’abord à l’Amphy, rue de Marseille, un bar dans lequel travaille le fils de Mme S., directrice pédagogique de Forpro ; puis dans l’appartement d’une accointance fêtant son anniversaire. Le caractère grégaire de ces ambiances me gêne toujours, partagé entre l’adaptation au milieu et le rejet systématique.
Mes programmes parisien et londonien se précisent. A Paris, du lundi au vendredi midi, j’aurai l’immense plaisir de retrouver Aurore (enceinte de quatre mois), Elo F. (qui travaille avec sa sœur tout le mois), Sabrina L. (à Rambouillet), Aline L. et Vania C. (et la liste n’est peut-être pas close). Entre ces rendez-vous amicaux et/ou affectifs, je me concentrerai sur la lecture des trois thèses consacrées à un aspect de l’œuvre de Léautaud (ses autoportraits, la question du style et un écrivain en guerre, 39-45). Par ailleurs, je testerai une première prise de contact avec la bibliothèque Doucet pour un accès au manuscrit du Journal littéraire.
Londres, en deux jours, je retrouverai Marianne D. de B. (pas revue depuis au moins trois ans), Manon à nouveau et Flo J., l’ex du Domaine de Tassin. Voyage dense pour le moins.
Haro sur les automobilistes !
L’univers de l’automobile reine et des automobilistes crétinisants et criminels en puissance me révulse de plus en plus : les vitesses excessives en ville, les feux grillés, l’agressivité impunie, les inconséquences pouvant finir en drame humain. Tout cela me conforte dans un dégoût nauséeux.

Dimanche 9 juin
Hier soir, encore une très agréable nuit au Club 30 avec Bonny et Eddy, alors que BB effectuait vaillamment son travail. Amical et de plus en plus affectif avec ce couple.
Je me suis fait allumer par une donzelle à la morphopsychologie très proche d’Elen : le visage (notamment un nez imposant), la poitrine gonflée et une voix disgracieuse. Bonny l’a bien senti et n’appréciait guère ce comportement de glaneuse d’un coup de rein.
Ces deux derniers débuts d’après-midi, je monte deux étages pour sortir tendrement et charnellement BB du sommeil. Un délice.
Après les sens, l’essence littéraire de Léautaud m’attend.
Législative, premier tour ce jour. Toujours pas ma carte d’électeur : aucune volonté de m’associer à cette messe républicaine bien terne.

Lundi 10 juin, 23h50
En début de soirée, appel de Sally pour prendre quelques nouvelles, et surtout être le relais des attentes des gens du Nord. Cette fois, demande de l’épouse de Heïm que je sois présent pour la fête des pères. Elle m’apprend la suite des dérives du fils Hubert à l’égard de Heïm, qu’il ne veut plus laisser son enfant au château, car son père « violerait » tous les petiots de passage. 
Violer n’est pas adéquat, car le viol suppose l’absence de consentement… Appris aussi que le magistrat déjanté aurait repris contact avec Alice pour tenter de neutraliser tout risque face à sa propre tentative de violence sexuelle sur sa sœur. Décidément, le sordide règne dans ces contrées.
J'ai évidemment décliné l'invitation pour cette mascarade très faiblement festive, prétextant de mes engagements par ailleurs (semaine et week-end pris à Paris et à Londres). Même sans cela je n’y serais pas allé. Je trouve incongru de me retrouver parmi ces gens, que j’ai certes adorés, mais dont je ne partage plus du tout les perspectives existentielles. L’hypocrisie, ou le coup d’éclat, s’immiscerait nécessairement. Pas de temps à perdre avec ces ambiances trop longtemps supportées. Plus mon monde, définitivement !
Je ne leur veux aucun mal, je serai présent pour des situations exceptionnelles (comme l’enterrement de l’un d’entre eux), mais nos chemins se sont séparés et le rapport filial n’est plus.
Ce soir, un débat télévisuel Fabius contre Douste-Blazy. Vers la fin, intervention percutante de Nicolas Hulot qui met en exergue les vrais problèmes prioritaires pour la survie de l’humanité. D’un coup, les échanges des deux politiques sur les problèmes nationaux semblent autant de baudruches rhétoriques. Juste après les réponses ou réflexions sur les propos de Hulot, la journaliste, selon un déroulement programmé à l’avance, aborde le sujet du match de football France-Danemark du lendemain matin. Le petit film sur la victoire de 98 et la situation actuelle paraît ridicule et déplacé après des propos alarmistes, mais justes, de N. Hulot. Aller dans le sens du bon pôple : voilà la plaie de ce système politique où (comme l’a reconnu l’un des deux élus présents) l’horizon des élections ne peut correspondre à l’horizon environnemental, et pourtant c’est de ce dernier que dépend tout le reste.

Mardi 11 juin
La connerie populaire dans toute sa profondeur avec des retournements de sentiment lorsque le vent tourne.

Lundi 24 juin
Une semaine parisienne suivie d’un week-end à Londres ne m’a pas laissé le soin de saisir sur le vif les impressions, les entrevues et les pérégrinations.

Côté studieux, la lecture, plus ou moins rapide, de deux thèses consacrées à Léautaud (à Paris IV et VII) : l’une sur le style de l’écrivain, l’autre sur une tranche de son J.L. par le biais thématique. J’ai débuté cette investigation universitaire à Paris III par la découverte d’une thèse intitulée L’écrit des jours sur le genre diariste à travers quelques cas particuliers (curieusement, Léautaud n’y est pas cité). Grâce à l’ordinateur portable offert par Shue, j’ai pu saisir directement les passages et références sélectionnés. Par le biais du prêt interuniversitaire, je lirai les quatre ou cinq autres sur Léautaud pour mieux pouvoir délimiter l’angle de mon approche.
Côté relationnel, multiplication des entrevues amicales. Aurore le lundi midi : enceinte de quatre mois, elle me présente, au cours d’un déjeuner exprès (après une longue marche pour atteindre le traiteur asiatique), son compagnon d’origine grecque qui semblait à moitié content de me rencontrer. Elle semble épanouie, mais ce cadre triangulaire ne lui a pas permis son épanchement habituel. Curieuse impression de savoir enceinte celle qui a été mon premier amour (de nature platonico-passionnelle), mais pas une once de jalousie. Plutôt une émotion due au temps qui a passé.
Le soir de ce lundi, dîner sur la terrasse en hauteur du restaurant Le Totem (découvert grâce à Shue, lors de notre premier dîner, en 1996, suivi d’une promenade intense en attirance réciproque) avec la toujours plus complice Elo. Notre amitié est des plus profonde et des plus pétillante. Un ravissement pour moi que ce tête-à-tête enflammé, nos rimes croisées et cette confiance qu’elle m’accorde. Je me sens comme un grand frère affectif.
Le lendemain midi, je la retrouve pour une sandwich-party avec trois jeunes femmes qui travaillent avec elle, sur la pelouse du jardin face à l’immeuble qui abrite l’Ecole d’Assas, détenue par des collatéraux d’Elo.
Le mardi soir je rejoins, place de la Contrescarpe, Vania C. Copine de droit en TD de relations internationales, puis amie suivie à partir du développement de ses divers soucis (familiaux, sentimentaux et professionnels), je l’avais un peu délaissé ces derniers mois (voire années). Elle me révèle d’ailleurs ne pas du tout avoir apprécié la teneur de notre dernier et très bref entretien téléphonique : j’aurais ri de façon sarcastique après m’être fait confirmer qu’elle cumulait toujours des rondeurs mal assumées et que le désert sentimental perdurait. Sans doute une grosse gourde psychologique de ma part. Une soirée bien agréable où j’ai pu reprendre le fil de ses ennuis qui persistent dans les domaines précités. Même ce qui devrait apporter une note positive se transforme en cauchemar : ainsi son achat d’un 70m2 près de la rue Mouffetard, des travaux qui n’en finissent pas depuis un an et demi et des voisins qui n’apprécient guère les effets secondaires de ces interventions sur l’immeuble. Sa mère en phase gravissime d’alcoolisme, ses kilos qui l’ennuient toujours (bien qu’elle ait perdu depuis notre dernière entrevue) et un cabinet d’avocats qu’elle veut fuir (dirigé par le médiatique, mais fou furieux, A. Benssoussan).
(A suivre)

Mardi 25 juin
Le mercredi soir, je retrouve Aline L., perdue de vue depuis son mariage, en 1997 ou 1998, qui n’aura duré que six mois. Avocate dans les quartiers chics de Paris, avenue Hoche, elle vit avec un Québécois. Grand plaisir de la revoir, j’essaye de mieux la connaître et d’instaurer une vraie complicité amicale. Nous évoquons ensemble le temps du lycée et de ma réserve hautaine dans mon rapport aux autres.
A Londres, retrouvailles avec Marianne pas vue depuis six ans. Elle vit en concubinage avec Matt, grand gaillard anglais, et ne semble pas très optimiste sur sa relation. Malgré cela, elle part en septembre avec lui pour un tour du monde sur un an et demi. Visite du cœur de la ville et moments plaisants en leur compagnie.
Vu Florence J. rapidement dimanche : état psychologique très bas après sa récente rupture sentimentale. Elle ne pense pas prolonger son installation après décembre.

Mercredi 26 juin
Premier week-end parisien avec ma BB présentée à maman, Jean et mes frères (papa, Anna et les deux petits la connaissent déjà). Très bon contact, elle est appréciée par toute la famille. Je tiens profondément à elle.

Reçu un courrier de Marie C., la jeune auteur de 19 ou 20 ans, amie de la sœur de BB, qui avait souhaité avoir un avis littéraire sur quelques nouvelles d’une personne avertie dans le domaine et ne la connaissant pas. Elle me remercie d’avoir passé du temps sur ses écrits et témoigne, avec une très fine intelligence et une maturité rare, des difficultés rencontrées et des déficiences occasionnées. Je sens qu’un vrai lien pourrait naître avec elle.
Je renoue avec les après-midi au parc de la Tête d’Or. Le farniente à l’affût des regards complices, le volume XVI du JL de PL parcouru, et ce bloc-notes (supplément portable du grand format) rempli épisodiquement. En face, deux jeunes mères de famille fumaillent avec des accents de voix pas très féminins. Cela ne me rebuterait pas pour une furtive défonce sexuelle. L’une fine, châtain, au string dépassant légèrement à l’arrière de son jean (une mode venue de Londres) alors que l’autre, blonde sensuelle, un peu plus potelée, laisse voir une petite culotte blanche beaucoup plus simple, mais non moins excitante à enlever. La fine, en passant près de moi pour aller dire quelque chose à son fils, présente un percing à son nombril, le ventre bien plat. Objets de désir sexuel, je les réunirais bien pour une vraie défonce tous azimuts. Bien classique fantasme (assouvi timidement en 96 ou 97 avec Sandre et Marilyn) qui reste vivace. Les écoutant, j’apprends que la fine (beaucoup plus féminine dans sa voix) est célibataire ; ses regards appuyés et son sourire complice ne laissent aucun doute sur son désir que je l’aborde. Je ne cède pas.

Jeudi 27 juin
Demain, départ pour Arles avec BB, week-end en amoureux chez sa sœur. Première baignade estivale à l’horizon.
Aller au château d’Au, le premier week-end d’août, me partage : attirance affective, mais appréhension 
de retrouver les mêmes tics existentiels, les mêmes monomanies intellectuelles… Je ne souhaite évidemment pas exposer dans tous les détails mon ressenti par rapport à la vie passée partagée. Cela ne servirait qu’à rendre Heïm un peu plus malheureux, ce que je ne cherche pas. S’en tenir à cette parenthèse affective avec ce qu’elle peut apporter de bon : voilà le seul objectif qui, j’espère, est réciproque. En cas contraire, cela constituerait ma dernière visite.

Juillet

Mercredi 3 juillet
Le séjour dans l’antique Arles avec BB, chez sa sœur Louise, s’est modelé du plus plaisant imprévu. Une amie d’A.-C., rencontrée au hasard des rues (Violaine) et son compagnon, eux-mêmes recevant un autre couple (Aurélie et Amib) et voilà une joyeuse troupe constituée pour atteindre la plage de rêve au fin fond de la Camargue, vers le phare de la Gachole. L’occasion de découvrir l’agréable convivialité de ces jeunes gens lors d’une marche complice (mon esprit était dans un de ses bons jours où les réparties fusent et rencontrent un public réceptif), puis d’une pêche improvisée aux tellines.
Le dimanche, repas autour de cette prise (trois kilos environ de ces petits coquillages fort goûteux) avec le duo ‘tite Marie (la jeune femme découverte par son écriture) et Fabrice en plus. A neuf dans le petit appartement de Louise les accents plaisants sont confirmés.
Elo n’a pas réussi sa première année de GEA. Les céphalées répétées et l’hospitalisation auront hypothéqué ses chances. Avec une moyenne de 9,77 elle n’est pourtant pas passée loin de l’exploit, d’autant plus qu’un dossier à 9,83 est passé. Je file ce matin vers Saint-Cyr pour finaliser un courrier au directeur de l’iut dans l’espoir d’une révision de la décision.
Un déjeuner chez moi avec BB et Elo.

Vendredi 5 juillet
En attente de ma correspondance à Lausanne. Cinquante minutes de battement pour quatre minutes de voyage jusqu’à Lutry : si je n’avais pas ma grosse valise à roulettes, j’aurais choisi d’y aller à pied.
Le plus attachant des bourrus
Lecture de quelques semaines de l’année 44 dans le volume XVI du JL de Léautaud : l’horreur ressentie et inscrite face aux massacres systématiques (comme celui ayant eu lieu en Pologne au début de la guerre et rapporté dans Combat) confirme la totale absence chez lui d’idéologie mortifère ou de complaisance envers celle qui prônerait de passer par le sang pour l’accomplissement de la doctrine défendue.
Peut-être que le meilleur biais d’étude, pour ma thèse, serait de montrer combien le Journal permet de saisir dans toute sa complexité (et ses contradictions le cas échéant) la philosophie d’un homme sur toute une existence. Sans mise à distance calculatrice, sans mise en scène a posteriori, le JL trace sur le vif les sentiments, le ressenti, l’humeur de son auteur. L’écriture authentique d’un diariste a sans doute plus de peine à être attractive, pour le lecteur, parce qu’elle ne se pare d’aucune construction préméditée et limite son esthétisme à la spontanéité plus ou moins talentueuse du premier jet. La transcription linéaire, parcellaire et subjective de ce qui compte à l’instant T de l’action d’écrire a pour seule cohérence la fresque existentielle en cours d’édification et dont l’achèvement s’impose au diariste.

Samedi 6 juillet, 18h
De la flotte pour ce deuxième jour à Lutry, après un vendredi radieux.
Hier après-midi passé avec Shue, John étant en déplacement professionnel, et Marie qui s’est bien remise de sa tuberculose (mais son traitement se poursuit sur plusieurs mois).
Immense plaisir de retrouver pour quelques heures une dualité amicale avec Shue. La finesse de son analyse psychologique sur ma relation avec BB m’a confirmé sa grande qualité intellectuelle et son sens des autres. Si notre lien se pérennise (ce qu’elle croit et souhaite) BB aura la tolérance implicite de laisser exister mes besoins de séduire.
Repas et soirée partagés avec Marie, toujours aussi fascinante dans son mysticisme, mais qui a su s’ouvrir à d’autres sujets plus prosaïques. Passage chez elle après une promenade dans Lutry : elle me laisse découvrir son book de photos de sa période new-yorkaise où elle tenta la carrière de mannequin (étonnante capacité à multiplier ses visages, et d’une très belle facture esthétique), et sa dernière œuvre en cours sur les étapes essentielles de son existence. Des mémoires métaphorisés, aux accents spirituels, découpés en brefs contes qui dépeignent quelques tranches de vie. Elle me montre aussi la correspondance reçue du directeur littéraire de Grasset, avant et après une entrevue à Paris, sur son récit inspiré. Côté foi : elle a pris conscience qu’elle n’est pas faite pour la vie en communauté religieuse ; elle est en contact mensuel avec un directeur spirituel qui l’incline au renoncement provisoire à la création (écriture, peinture) et teste chez elle sa capacité d’obéissance. Toujours célibataire, elle attend ses trente ans (le 18 décembre prochain) pour envisager une nouvelle rencontre sentimentale.
A noter : Alise, l’avocate new-yorkaise que je dois voir le 15 juillet prochain à Paris, est la petite fille de l’ex grand roi d’Ethiopie, Haïlé Selassié. Cela explique l’aristocratisme qui émane d’elle avec sa noblesse de port.

Lundi 8 juillet, 0h30
Dernière nuit à Lutry, comme toujours accueilli comme un prince par Shue. Des moments de pur plaisir : cette fin de déjeuner sur un transat, lac Léman sur fond d’Alpes face à soi, un verre de cognac dans une main, un Davidoff préparé par John dans l’autre et le Journal littéraire de Léautaud comme univers d’accompagnement ; ces quelques longueurs à la brasse dans la piscine du Lausanne Palace, suivies d’un farniente dans le jacuzzi adjacent. Des moments festifs : passage au festival de Montreux. Des moments de quiétude et de curiosité : accompagnement de Marie et d’une amie, Servane, dans une communauté religieuse pour une représentation musicale, la mise en musique de poèmes de Sainte-Thérèse de Lisieux, entre autres choses.

Retour à Lyon pour une soirée au festival Jazz à Vienne avec BB.
A noter que cette immersion éphémère dans l’ambiance d’une communauté religieuse a confirmé mon sentiment contradictoire : adhésion aux messages constructifs et à une certaine morale ; rejet du conditionnement sous-jacent et de l’anthropocentrisme qui sous-tend les dogmes religieux.

Dimanche 14 juillet, 11h30
Ce troisième jour au Cellier offre un bleu méditerranéen. Parents, frère et sœur de BB toujours aussi accueillants. Le bon esprit affectif qui règne dans cette famille repose l’âme. On ressent la vraie tendresse de part et d’autre, la plus démonstrative étant Louise. La bouille et le regard gentil du père m’ont d’emblée conquis : une crème d’homme en fait. Aucune prise de tête pour moi dans cet univers où je me sens très apprécié, ce qui n’empêche pas des débats passionnés, comme sur le classique conflit israélo-palestinien hier au soir.
Je délaisse ces pages pour mieux me plonger dans le JL de PL, le volume XVII est entamé.

Lundi 15 juillet
Journée balnéaire avec la famille B à… Pornic, lieu de villégiature de Léautaud chez le Fléau. Le 5 septembre 1946, alors qu’il s’y rend depuis des années, il confie s’y être ennuyé la plupart du temps. Aucun sentiment de cette sorte pour ma part. Après un déjeuner tardif à la Gourmandine, aux crêpes et galettes goûteuses, passage dans une des petites cryptes rocheuses qui offrent des plages réduites, ronds de sable encastrés. Malgré la marée basse et les rochers saillants, immersion dans l’eau vivifiante sur les traces de François (le frère de BB) davantage motivé. Soirée avec BB chez sa plus ancienne et plus chère amie, Marie-Laure. Le petit garçon de cinq ans, qui se croyait en liens privilégiés avec BB, boude ma présence. Leur conversation sur les enfants dans un couple, l’importance d’en avoir (nos hôtes ont eu les plus grandes difficultés à en concevoir un) m’a mis un peu mal à l’aise.




19h05. Fin du passage exprès à Big Lutèce. Alise toujours radieuse, l’enthousiasme sans pause : nous avons improvisé une pérégrination parisienne après le repas partagé avec son amie Manale. Passage au musée Dalí de Montmartre où je n’ai pu résister à l’achat de quelques reproductions de grands et petits formats. Approche très rapide de l’arc de triomphe avant de rejoindre Adèle et Nidia près du musée du Louvres. Encore une journée comme un clignement, avec le sentiment de ne pas avoir assez densifié le trop bref temps imparti.
Avec Nidia, évocation rapide de mon Journal : elle se demande où en est sa publication (la « saga familiale » l’a-t-elle nommé). Je lui apprends (ou lui confirme si Sally l’avait déjà informée) que ce projet éditorial est avorté mais ne m’empêche aucunement de poursuivre. J’ajouterai, pour ces pages, qu’il prend ainsi sa dimension de voix indépendante, anonyme et sans illusion. Plus de perspective de piètre gloriole et d’une existence officielle de cette fresque subjective. Reste l’accumulation sans fard du ressenti. La seule voie d’équilibre psychique et de lien avec l’écriture spontanée demeure ces élans sans consistance.
Dans le TGV à moitié vide, sous la grisaille automnale, une beauté distante accompagne cette traversée ultra rapide, cicatrice d’acier, sans me décocher un regard. Une puissante fidélité à ses objectifs existentiels, peut-être à son amour. Je devrais faire mienne cette imperméabilité à l’alentours et me concentrer sur ce qui m’est déjà offert : mon amour BB, ma thèse débutée, mes chères amies. La multitude relationnelle n’apporte finalement que des remplissages en trompe-l’œil et liquéfie la trajectoire que l’on tente de suivre.

[Courriel à Martine S.]
Mardi 16 juillet, 12h39
Objet : Re Beausoir
Toujours votre ton si lyrique... je vous souhaite le plus beau des voyages...
Pour moi la vie se déroule agréablement : mon histoire avec BB se poursuit, j'ai relancé un projet de thèse de lettres sur le Journal littéraire de Paul Léautaud, je multiplie les week-end prolongés chez des amies, je poursuis l'écriture de mon Journal.
Voilà synthétiquement... J'espère que nous nous reverrons un jour.
Avec toute mon affection.
Loïc

Samedi 27 juillet, 1h30 du matin
Vu jeudi soir, sur Canal +, le spectacle barbare de la tauromachie. Préjugés très hostiles à cette cruauté ludique, je profite de ce hasard d’un zapping de fin de soirée pour me faire une idée plus précise du cirque en paillettes sanguinolentes. Bilan : je comprends mieux la fascination, voire l’envoûtement, produits par ces exhibitions. Les toreros s’y montrent stupéfiants de détermination dans l’arène, se faisant frôler par la bête enragée de s’être faite charcutée. Contraste de la perception qui ne doit pas occulter que jouer avec la vie d’un animal pour son seul plaisir est d’abord et avant tout inexcusable.
Dans un tout autre registre, vu ce soir, aux Nuits de Fourvière avec ma BB, la comtesse aux pieds nus du Cap Vert, Cesaria Evora. Magnifique voix, mais présence timide sur scène. 19h40. L’estival sans concession. Une ballade avec BB près des étangs de Saint-Julien, dans l’Isère. Ce soir, nous dînons chez la famille F. et le dimanche chez les C., dans leur paradisiaque demeure à Charly, pour un farniente avec piscine…
Tension musicale
Le dernier titre des Coldplay confirme mon enclin pour leur teinte musicale, une espèce d’état de tension semi dramatique qui glisse avec retenue vers l’éclatement. Un lyrisme mélodique qui m’enchante.
Retour quelques instants au volume XVII du Léautaud, année 48…

Août

Vendredi 2 août
Juillet m’a ancré un peu plus à Lyon. La lecture du JL de PL au parc n’a pas étouffé le relationnel. Les copines du parc s’étoffent de charmantes jeunes femmes (Annie, Marjorie, Muriel, Elise) avec qui de cordiales, voire d’amicales complicités peuvent s’établir. Elise et Muriel ont des enfants : cela ne fait qu’aviver mon retard pour l’élan procréateur. Moi qui, après la rupture avec Sandrine, me résolvais à une existence retirée, truffée d’amantes successives, j’intègre aujourd’hui le paramètre d’un enfant avec BB comme nouvelle étape d’existence.
Après ma vague d’envois, en début de semaine, de candidatures spontanées auprès d’organismes de formation, déjà deux manifestations (une prise de rendez-vous et un document type à renvoyer). Peut-être de nouvelles collaborations en perspective qui compenseront mon arrêt de l’Institut Galien.
Une très agréable soirée chez Bonny et Eddy, mercredi soir, avec d’autres de leurs amis, confirme l’amitié joyeuse qui se tisse les rencontres passants.
En route pour l’Aisne, après deux ans d’absence : j’espère que le séjour s’axera sur l’apport affectif partagé sans résurgence des vieilles rengaines, ni essai de connaître mon jugement sur telle ou telle tranche de vie.
Je pars dans cet état d’esprit, même si je me doute que quelques thèmes existentiels seront abordés par Heïm. Pour son anniversaire, fêté en avance dimanche, je lui apporte une liqueur des vendéens (spécialité achetée lors du séjour au Cellier) pour le palais, et l’Histoire d’humour de l’histoire de France de Guy Breton pour l’esprit.
Parmi les adoptions parlementaires de cet été, l’augmentation de 60 % des salaires des ministres pour compenser la suppression par le gouvernement Jospin des enveloppes, pratique séculaire pour un complément conséquent des rémunérations. Les médias se sont bien sûr empressés de mettre cette information en parallèle avec la très faible augmentation du SMIC. Un rapport bien artificiel, mais excellent pour le racolage social et la grogne dans les chaumières de la « France d’en bas », selon l’expression raffarinée.
Le taulard José Bové s’offre un bain de foule sous les projecteurs avant de reprendre son antienne favorite et de stigmatiser les coups portés à la « France du sous-sol ». En forme, le Bové, malgré la cure cellulaire.
Dans le train Paris-Laon, au trois quarts vide, pris si souvent dans la deuxième partie des années 90, je songe encore à ce passage au château d’Au, aux multiples améliorations que je vais découvrir, à l’ambiance que je vais retrouver. Il me faudra jongler avec le niveau que je souhaite laisser émerger de ma nouvelle existence. Affection, mais détachement de toute dérive qui favoriserait l’épanchement à effet boomerang.

Samedi 3 août

Une première partie du séjour tout en affection arrosée. Pas de volonté polémique et une surprise : nouvelle proposition de Heïm d’éditer mon Journal ! Il fait allusion à la promesse faite à mon père de ne jamais l’éditer pour mieux l’évacuer.
Très chaleureux de le retrouver, mais il a ressenti un léger malaise chez moi, depuis ce matin, et le fait est : je ne me sens pas vraiment dans mon élément, même si tout l’apparat affectif est déployé.
Un élément très agréable : l’avancée des travaux dans le château et, notamment, la réhabilitation (en cours ou achevée) des deux pièces principales du bas. Des espaces très accueillants par l’ameublement et les éléments décoratifs multiples.
Dans les échanges avec Heïm, évocation de l’actualité de personnes plus ou moins familières : les folies du magistrat Hubert, la réussite magnifique du neveu Thierry (à la tête d’un des plus gros cabinets d’huissiers de Normandie), la vie de déclins successifs de Florence R. alias Kiki, les deux enfants (vus en photo) d’Alice (Charles-Michel et Michel-Edouard), etc.
De mon côté, quelques révélations : notamment mon histoire charnelle très brève avec S et le projet d’un enfant avec BB à moyen terme. Sur ce dernier point, j’aurais peut-être mieux fait de m’abstenir. Je sens poindre la pression (gentiment abordée) de visite avec cette future progéniture…
En somme, une visite en forme de réconciliation, mais qui ne m’incline pas à intensifier le suivi. Une visite annuelle conviendra.
Quant au Journal, et son volume I (91-99) Un gâchis exemplaire, je prends cette nouvelle proposition avec beaucoup de circonspection. Pas d’emballement prématuré, mais si le livre peut effectivement exister, je ne vais pas me priver de ce plaisir.
Problème pour le volume II (2000- ?) que j’intitulerais probablement A mon aune, et dans lequel les critiques fusent envers Heïm et son entourage. Il faudrait être un imbécile inconscient pour proposer une version complète de ces années. Je vais donc envoyer à Heïm quelques passages ne comprenant pas les défoulements contre ma vie passée et, en cas de proposition éditoriale, je tronquerai ce volume des extraits les plus pamphlétaires sur le château pour les réserver à un Journal critique posthume. Puisque la stratégie a gouverné l’essentiel des actions de Heïm à l’égard des êtres, je ne vais pas me priver de l’être un peu à son égard. L’affection demeure totale, mais je n’ai plus cet enclin à œillères des années 90 où seule la cause du château comptait. Je ne veux de mal à personne, mais je ne bride plus mes réflexions dans le secret de ces pages.
Demain, allure pseudo familiale prononcée avec l’arrivée de Sally, Hermione et Angel.
Cette après-midi, quelques tours dans la maxi piscine à boudins installée au fond du potager, avec une structure en dur tout autour et un cabanon pour accueillir les éléments techniques, vestimentaires et de confort.
Ce soir, sortie restaurant et, sans doute, boîte de nuit avec Karl.
Hier soir, un texto de ma BB qui me fait un bisou et que j’ai rassuré sur la teneur de mon séjour par retour écrit.

Dimanche 4 août
20h. Comme prévu, la fin de la deuxième partie de séjour a dérivé vers la pseudo-catharsis. Un repas tout en affection, en bons mots, en ambiance chaleureuse et puis, progressivement, quelques éléments conflictuels ont émergé : ma nouvelle conception de l’existence, mon malaise dans ce cadre, la mise en relation de ma compagne (et d’un éventuel enfant) avec le château… Tous ces points d’achoppement qui ne me concernent plus. Je reste en lien affectif, mais je me sens de plus en plus étranger à ces volontés de réunir l’inconciliable.

Selon Hermione, je n’aimerais pas le beau de l’existence dans son optique constructive… Eh bien tant pis ! Qu’on me laisse à l’aune de ce qui me préoccupe. Cette adhésion systématique à des schémas de pensée dans lesquels je ne me reconnais plus restera une source de ruptures renouvelées. Qu’ils me prennent tel que je suis, condition essentielle pour la poursuite d’un rapport.
Vrai que ma conception de l’existence ne peut être approuvée par le couple Hermione-Angel. Doit-on pour autant se priver de se voir ? Peut-être n’a-t-on plus rien d’important à partager. Je sentais dans la voix de Hermione, déclarant beaucoup m’aimer, que rien de commun ne subsiste permettant d’initier des rencontres. Le changement est bien, chez moi, irrémédiable, et sans l’once d’un désespoir. Mon épanouissement réside dans ma vie lyonnaise. Et ma BB me manque, son amour, ses baisers, son corps chaud, ses attentions constantes. La présenterais-je un jour ? Aucune envie de la mêler à cette théâtrologie existentielle qui finalement, même si l’intelligence est extrême, en revient toujours à des monomanies intellectuelles.

Pour finir, je n’ai pas vraiment envie que ce Journal paraisse. Que cela reste comme une expérience littéraire où je ne m’interdise rien dans la critique, condition d’une création équilibrante, mais rien du faiseur pour la pitoyable gloriole de l’ouvrage sorti. Je verrai si Heïm me relance, mais je n’aurai aucune démarche en ce sens. Tout cela ne m’intéresse plus.



Lundi 5 août
Retour apprécié à Lyon et grand plaisir de retrouver ma BB et sa bouche gourmande. La pesanteur de ce séjour chez les gens du Nord n’est pas encore évacuée. Divergence existentielle et malaise au contact des résurgences de cette vie sans saveur pour moi, dorénavant. Même plus envie de m’épancher sur le sujet.
Reprendre mon rythme lyonnais, ma tendre, mes amies et accointances, Léautaud et son dernier volume, avant une vraie semaine de vacances à Royan...

Mardi 6 août
Un temps grisaille réduit cette journée à une dualité sentimentale : BB et moi dans un farniente revigorant. Les Estelle, Muriel and Cie ont décliné l’invitation.

Je vous salue Mahomet !
Vu ce matin, lors du tardif petit déjeuner, le dernier volet du Théma enregistré sur Arte et consacré au phénomène hallucinant de la bombe humaine. Le profil des trois « pilote de la mort » du onze septembre révèle la phase intellectualisée de ce procédé : des jeunes gens adorés par leur entourage, leurs accointances, brillants dans leurs études, promis à un bel avenir, adhèrent à l’intégrisme islamiste et se déterminent à un auto anéantissement le plus meurtrier possible. Rien du portrait de ceux qui sont endoctrinés (de force ou de gré) depuis l’enfance. La haine du modèle américain, dont ils ont abusé pour mieux exploiter ses faiblesses, et la volonté de faire triompher une autre voie leur tient lieu d’ancrage idéologique. A cela s’ajoute l’intime conviction d’un paradis pour martyrs qui rend totalement dérisoire la vie terrestre. Quelle ambivalence dans ces religions monothéistes : sources d’une certaine morale, d’une approche plus humaine de la relation à l’autre, elles peuvent tout aussi bien, avec des exégètes mal intentionnés, légitimer les pires atrocités. Cela suffit à prouver leur caractère foncièrement humain, et non divin.

Vendredi 9 août, 23h
Demain, à l’aube, le grand parcours est-ouest pour rejoindre Royan. Un site Internet gratuit fournit le trajet idéal de ces six cent vingt kilomètres à effectuer en huit heures à soixante-dix-sept km/h de moyenne. Pas de la grande vitesse en perspective. La vraie route des vacances comme aux temps florissants (mais aussi meurtriers) de la nationale 7 comme axe majeur.
Heïm m’a laissé un message jeudi sur mon portable : se dit désolé de la tournure prise par la fin du séjour, me renouvelle son affection et souhaite que je ne m’en sois pas retourné trop amer. Je lui ai envoyé ce jour un mail avec la reproduction des quelques photos prises du château. Il me rappellera peut-être lors de la villégiature royannaise. Je ne me sens aucunement amer : le retour à Lyon, au bercail, fut en fait un soulagement. Je n’ai ni haine, ni ressentiment, ni surtout nostalgie : un détachement pour une forme de vie qui n’a plus d’attrait pour moi, qui sonne en creux. Mon désengagement semble aussi profond que l’était mon implication au début des années quatre-vingt-dix. A mon aune... voilà le principe maître pour cette nouvelle décennie.
Déjà cinquante-cinq pages, en dactylographie serrée, de citations sélectionnées pour le JL jusqu'à l’année 32 (en cours). Il me faudra ensuite jongler avec toute cette matière littéraire pour préciser les détails du prisme d’abordage... Une bien agréable plongée dans ce condensé des meilleurs moments du jl opéré entre 87 et 88. Mon esprit conservateur n’a pas été inutile : quatorze ans après je m’en sers pour ma thèse !
L’été pourri (encore qu’à Lyon j’ai pu profiter de l’astre brûlant) va, j’espère, connaître une trêve la semaine prochaine.

Dimanche 11 août
Début du séjour sous ciel bas et bruine ventée. Jeu de mini-Monopoly en euros avec Elisa et Adèle (dix ans toutes les deux) puis passage sur une plage proche en fin d’après-midi. Amélioration dès demain... la pointe espagnole devrait alors s’imposer comme vrai premier jour de vacances pour BB. Petite tristesse inexpliquée ce matin de sa part. Elle semble accumuler des ressentis négatifs et craquer quelque peu sans vouloir approfondir par le dialogue.

Mercredi 14 août, 0h30
Un radieux mardi : début à la pointe espagnole à me défouler dans les flots agités de l’Atlantique ; suite à l’ombre de la maison de Robert (le père de Sally) à vagabonder dans un Courrier international ; fin avec ma BB dans les rues animées de Royan. Karl attendus pour ce soir va amener sa vivacité sous un ciel que l’on espère bleu.
Bonne nuit les petits...

Dimanche 18 août
Au Cellier depuis hier midi, bilan contrasté du séjour à Royan : agréable pour moi, source de malaises et de chagrin pour ma BB. Comme je l’avais appréhendé, le courant n’est pas passé entre elle et Sally. Avec beaucoup de subtilité, la maman de Karl a fait montre d’une certaine indifférence par rapport à BB, se limitant aux convenances basiques d’une hôte. Ce non-dit pesant, où ses allusions légèrement perfides ont blessé celle que j’aime. Sally ne l’a certainement pas fait dans cette optique, mais l’irrésistible penchant à imposer ses schémas pour le bien prétendu de ceux qu’on aime (déviance affective caractéristique du château) fait fi des personnes que l’on a choisi.

La différence entre Sally et Heïm tient au moyen employé : le ressenti et l’implicite pour la première, l’éclatement cathartique pour le second.
Cela me conforte dans l’impossible rencontre entre mon univers sentimental (et sans doute familial, si un enfant naît de notre union) et les gens du Nord. Je manque sans doute de jugeote analytique et psychologique, mais pourquoi ceux qui prétendent m’aimer davantage que ma famille de sang ont systématiquement miné mes relations de cœur, que je sois totalement impliqué dans leur vie comme avec Kate, ou désengagé de toute responsabilité clef lors de mon histoire avec Sandre ? La présentation de BB à mes parents et mes frères n’a pas connu de raté, bien au contraire. Heïm prétendrait que les médiocrités s’assemblent, et bien je crois moi que la véritable saleté d’âme c’est celle qui veut imposer ses vues affectives, qui ne peut s’empêcher (malgré les engagements pris) de dériver vers les vieilles monomanies destructrices du chemin que l’on tente de se tracer pour mieux modeler à ses vues, à ses principes celui qu’on dit affectionner. Seuls les résultats comptent : je me sens infiniment mieux aujourd’hui à Lyon avec ma BB que je ne l’ai été depuis 1990 où je décidais d’accorder de l’importance aux avis des gens du Nord pour ma vie sentimentale naissante. Erreur qui m’a coûté dix ans d’éprouvantes incompatibilités. La fausse tolérance affective masquait un implacable travail de sape. Avec Sally et ce séjour à Royan, j’en ai eu les derniers rogatons.
Eu Heïm rapidement au téléphone ; il me confirme le plaisir qu’il a eu à me voir malgré les regrettables dérives de la fin (un couplet éculé pour le moins !) et souhaite m’envoyer un courrier plutôt que m’ennuyer au téléphone. Nous verrons bien la teneur de cet écrit, s’il arrive... Pour moi, la position à adopter est claire : le double jeu. Le temps de la vertu naïve est révolu. Si Heïm souhaite conserver ce lien affectif avec moi, ce sera au rythme qui me convient, et cela constituera pour moi l’occasion d’approfondir ici mes vues critiques et mes observations sur cet univers fui depuis 1997 (et certainement depuis bien plus longtemps inconsciemment). Si Heïm souhaite finalement publier le premier tome de mon Journal pamphlétaire, je ne le refuserai pas, mais cela ne m’empêchera pas d’étoffer le deuxième tome (A mon aune) de la distance critique sans qu’il ne s’en doute (tout du moins dans cette proportion et avec ce ton). Heïm a toujours fonctionné à double, triple, quadruple jeu avec les êtres : je me sens aujourd’hui totalement légitime à agir comme cela avec lui, et ce jusqu'à sa mort. Il ne servirait à rien qu’il soit informé de mon vrai ressenti, et de la rupture philosophique, existentielle, qui croît en moi, si ce n’est à me couper définitivement de ce champ d’observations que je n’aborde qu’avec précaution et très épisodiquement, car il reste dangereux pour moi. Je veux garder l’opportunité de pénétrer de temps en temps cet univers pour ne pas m’aigrir dans une critique gélifiée, mais faire œuvre de contempteur aux prises avec une réalité en mouvement.

Avec Karl, toujours la même complicité, un être que j’apprécie infiniment car il semble respecter la voie que j’ai choisie et mes choix sentimentaux, même si la pression idéologique des gens du Nord s’avère puissante de facto.


Amusante rencontre au bar Tapas de Royan (ouvert depuis un peu plus d’un mois) la nuit de vendredi à samedi. Karl s’est à nouveau chargé de l’effort d’abordage. Après Estelle et Amélie, voilà Christelle et Emilie : deux jeunes filles (25 et 22 ans) dont la conversation et la sensibilité nous ont accompagnés jusqu'à cinq heures du matin. Pour Karl, une manière de finir agréablement ses très courtes vacances. Un lien amical pourrait naître là aussi.
Hier, une fin d’après-midi sur une plage proche de Saint-Michel Chef Chef, puis un restaurant en bord d’Atlantique avec BB et son frère : très agréable malgré nos heures de sommeil à rattraper.
Le temps incertain de cette matinée a finalement été bénéfique pour l’écriture.
20h. Visite instructive de la tour d’Oudon. Les horreurs de la Terreur se cristallisent sur la virée de Galerne et les noyades massives : Carrier, le petit Hitler auvergnat parachuté gouverneur de Nantes, incarne ce qu’il y a de pire dans une idéologie qui veut s’imposer comme la seule voie.

Lundi 19 août
Verre pris à Nantes avec BB et son frère dans un bar-pub singulier. Tenu par d’anciennes prostituées qui devaient officier à l’âge d’or de Gabin, dirigé par leur mac du temps jadis, sabots aux pieds et chemisette ouverte sur un bide rond et blafard, ce lieu tire son ambiance d’un agencement insolite et d’une décoration hétéroclite. Des niches, coins et recoins s’habillent de supports, pour les verres et les visiteurs, aux sources multiples : un maousse soufflet, une machine à coudre, les bords d’une cheminée…
Déjeuner ce midi au restaurant de Marie-Laure et de son mari (amis de BB) à Nantes à nouveau.
Pas de retour après mes textos envoyés à Emilie et Christelle.
La pause estivale tire doucement vers sa fin. Dans une semaine, reprise en douceur de mes interventions à Forpro, à moins que d’autres collaborations et cours particuliers ne s’y ajoutent, ce qui ferait le plus grand bien à mes caisses et m’éviterait de trop grignoter mon très modeste fond de réserve. En outre, si un revenu de remplacement (autrement dit les Assédic) m’est alloué pour juillet et août, mes finances retrouveront un équilibre correct. Je travaille depuis 1987 avec des rémunérations en droits d’auteur, puis en salaires pour tout ou partie à partir de 1991) et ces indemnisations de chômage pour deux mois constitueront une première dans mon parcours professionnel : je n’ai pas coûté trop cher aux organismes paritaires !
Le plus attachant des bourrus
Le volume XVIII du JL de PL fait état de l’impact important des Entretiens avec Robert Mallet. Léautaud semble osciller entre la satisfaction d’une notoriété amplifiée à 80 ans et l’agacement de cette accumulation de sollicitations qui dérangent ce sauvage des villes.
Dès septembre, je vais m’abonner aux Cahiers Léautaud, dirigés par Edith Silve, et tenter d’acquérir (ou de consulter) les numéros antérieurs. Cela m’offrira une base de confrontation entre mes réflexions sur le bougre de Fontenay et celles d’autres adeptes ou contempteurs (encore que je doute que ces derniers puissent exprimer leurs critiques dans ces pages).
A l’enterrement de Gide, et notamment lors de la vue du corps, moment prisé par l’écrivain, Léautaud ne peut retenir ses larmes : sincère chagrin pour la disparition de son confrère d’écriture ou conscience accentuée du temps qui passe et de sa fin prochaine ? Le temps des moissons de la Camarde dans nos contrées affectives ou amicales doit être particulièrement douloureux et angoissant lorsqu’on sait que notre moment d’être cueilli est naturellement (et si vite !) arrivé. Je pressens ce que seront ces décennies canoniques, si j’y parviens. Les remontées nostalgiques, les regrets de l’irréalisé, le sentiment de ne pas avoir embrassé à plein chaque seconde et, peut-être, la sérénité de celui qui s’inscrit dans une histoire collective, au-delà de soi.

Mardi 20 août
Journée sur la route, de Nantes à Lyon, avec une pause déjeuner à P. chez Corentin (maire de la commune), son épouse Lydie et sa fille Adèle. Demeure dans un demi corps de ferme réhabilité avec beaucoup de goût, un intérieur chaleureux et un couple charmant. Adèle toujours adorable avec moi, et un peu moins caractérielle qu’à Royan avec ses parents. Des andouillettes fameuses comme mise en bouche de notre retour à Lyon.



Haro sur les automobilistes !
Gros point noir de la journée, en forme de purulence humaine : l’automobiliste moyen sur les routes nationales. Les bords de certaines voies sont maintenant truffées de silhouettes sombres représentant les victimes d’accidents mortels : cela ne bride pas la crétinerie criminelle de certains qui, à ces mêmes endroits, prennent des risques inouïs pour gagner un temps dérisoire. Si cela passe cette fois, le danger qu’ils représentent pour l’alentour (motorisé ou pas) n’est pas acceptable.
Quand donc les pouvoirs publics prendront les mesures adéquates pour éliminer de l’univers routier ces inconsciences potentiellement dangereuses, ces petites terreurs du volant qu’il faut écraser dans l’œuf. Marre de cette tolérance qui tue... la complicité du système actuel, qui tolère ou pardonne les pires comportements, rend douteuse la volonté d’éradiquer la délinquance routière. Une lettre ouverte aux criminels potentiels de la route ne peut que défouler son auteur : il faut sévir impitoyablement. Par exemple : l’annulation du permis et l’impossibilité A VIE de le repasser en cas d’accident mortel occasionné par un comportement routier dangereux. Il faudrait même l’étendre à ce type de dérive même si elle n’occasionne que des blessés ou de la taule froissée, afin de ne pas attendre qu’il tue pour le bannir de la conduite. Ce qui doit être retenu c’est l’intention d’avoir une attitude criminogène... le reste ne relève que du hasard de multiples facteurs et ne doit surtout pas servir de circonstances atténuantes.
Je hais ceux des automobilistes qui se jugent puissants, dans une impunité répugnante, simplement parce qu’ils conduisent, dépassent, surpassent ! Pitres dangereux à évacuer au plus vite pour éviter la mort d’innocents.

Amusante information prise chez Corentin et Lydie : Sally a un compagnon dans sa vie, un dénommé Philippe (et même un second, Bernard) qu’elle connaît depuis une vingtaine d’années. Son logis parisien se situe en fait rue de l’Université dans un magnifique appartement... Quoi de plus normal finalement, mais un tel goût du secret depuis tant d’années pour ceux qui côtoient Heïm tranche lui sur l’ordinaire. Je ne pense pas que son fils soit au courant de cette facette de la vie privée de Sally. 
Hier, dans ma BAL, parmi les factures et l’acceptation de mon indemnisation par les Assédic, une enveloppe avec juste Loïc inscrit dessus : à ma grande surprise un mot d’Elen (que j’avais croisée dans la rue Tête d’Or juste avant le départ pour Royan) qui souhaiterait, un jour de beau temps, me voir au parc... et elle me laisse son téléphone (le mien a été jeté). J’en ai informé BB. Est-ce une résurgence de sentiments (elle m’avait déclaré, lors de cette brève entrevue, avoir très bien digéré notre séparation et ne pas souhaiter de liens amicaux) avec un espoir de renouer alors que je ne l’ai pas informé avoir le cœur pris ? Amusante manifestation en tout cas.

Vendredi 23 août
Passage éclair à Fontès avec ma BB, juste le temps de faire quelques bisous à grand-mère, de présenter ma dulcinée, de déjeuner tous les trois au gentillet restaurant Le Sanglier de Cabrières, de passer quelques moments au jardin, de dîner avec ma belle à la brasserie Molière de Pézenas, de se promener à nuitée dans quelques rues et ruelles de la commune, puis de s’en retourner à Fontès faire un gros dodo après un délicieux câlin…
Toujours ému de quitter grand-mère : ce matin à onze heures nous laissons le village pour une halte sur la longue plage de Sète, au bord du Golfe du Lion. Au cours de la conversation, grand-mère fait allusion à son année de naissance, 1912. Je crois me souvenir qu’elle est née en septembre : elle va donc aborder ses 90 ans le mois prochain. Nous devrions, enfants et petits enfants, marquer l’événement en lui envoyant cadeaux et fleurs à la date requise. Je vais tenter de mobiliser les troupes éparses…
Ce matin, au cours du trajet, j’appelle I. ma cousine (fille de Paul) que je n’ai pas vue depuis plus de dix ans... Une voix que je ne reconnais pas d’emblée, mais un rire familier. Voisine, elle réside dans les Dombes, je lui propose une entrevue avec BB un jour de septembre. Elle semble partante, tout comme l’idée de fêter grand-mère. A suivre...

Dimanche 25 août
Grisaille orageuse sur Arles. Séjour reposant et agrémenté de joyeuses retrouvailles avec Violaine de passage avec sa sœur jumelle (non monozygote) Marion, étudiante en architecture. Un dîner Chez Gigi sans vraie transcendance relationnelle, moi-même peu performant pour fuser par l’esprit. Des convives très agréables cependant. Une mauvaise nuit pour BB, peinée par une attitude distante de ma part à cette soirée. Je n’en ai pas pris conscience sur le moment et l’analyse a posteriori me fait expliquer cette attitudes par quelques comportements peu féminins de BB au regard des autres jeunes femmes présentes (notamment une tendance à parler trop fort, avec une intonation désagréable). De là une distance de ma part. Ne suis-je pas encore assez tolérant pour la personne choisie ? Je ne veux surtout pas la blesser, mais je souhaiterais une évolution sur quelques points pour qu’elle s’affine... Du détail, sans aucun doute, au regard de ses grandes qualités humaines...
Demain après-midi, reprise en douceur des interventions à Forpro : de treize heures à dix-sept heures, V.S.P. pour une dizaine de Bep. Pas de transcendance attendue là non plus, mais cela me libère au moins l’esprit pour l’ami Léautaud : 1953 entamé, la psychologie de la fin, une profonde morosité, atteint le suivi même du JL.
Une grande différence dans le rapport familial entre les B et les Decrauze-B. Parents, soeurs et frère B s’appellent presque quotidiennement, se suivent pas à pas dans leur existence. Nous, le contraire total, un appel mensuel aux parents est un maximum, et entre frères cela se raréfie encore plus. Y a-t-il moins d’affection pour cela ? En tout cas, un désintérêt pour le suivi chirurgical de nos vies s’allie peut-être à une volonté de laisser chacun faire son chemin. Et les échanges lors des entrevues en sont peut-être plus fournis...

Lundi 26 août
Tension musicale
Le dernier album de Coldplay : une MERVEILLE ! De tels créateurs d’enivrement musical réconcilierait le plus coriace misanthrope avec l’humanité. Cela enchante, élève, inspire, transcende. Un deuxième album encore plus créatif que le premier : l’assurance d’une œuvre d’exception. Chapeau à ces Anglais ! Voilà un vrai bonheur qui m’illumine : le talent de certains artistes.

Vendredi 30 août
Ce soir, dîner chez moi avec BB, sa sœur Louise et son frère François. Une agréable soirée en perspective. Demain soir, immersion dans la famille maternelle nombreuse, enfants et petits enfants des grands-parents maternels à Vilmoirieux.
Encore un nouveau message de Heïm sur mon portable, me témoignant son affection et me confirmant le plaisir immense qui je lui ai fait par mon séjour. Il se dit désolé de la tournure que cela a pu prendre sur la fin, de mon malaise croissant, et espère que je n’attendrai pas deux ans pour une nouvelle visite. Renouvellement de sa proposition d’édition. Cette affection me touche intellectuellement, mais je ne ressens plus tellement d’inclination sensible à son égard. Mon mail d’hier redonnait mon accord pour la publication du premier tome. Je ne peux, en revanche, augmenter à plus d’une par an, sauf cas de force majeure, mes visites au château. Cela doit rester exceptionnel pour que les digressions cathartiques se limitent au minimum.
Dans mon antre lyonnaise, décoration des murs par trois cadres grand format (60X80) et cinq petits formats avec du Dalí. Le délire dans la précision habille les lieux de vivifiante façon.
Coldplay pour les oreilles, Dalí pour le regard qui cherche l’inspiration, une table dressée au Guy Degrenne pour nos hôtes : sentiment de bien-être, une douceur de vivre à mon rythme, et le temps qui se charge dans la légèreté d’une existence à l’aune de soi. Voilà sans doute qui explique mon détachement sans affect de l’univers de Heïm.

Septembre

Jeudi 6 septembre
Révélateur du laxisme en matière de délinquance routière : l’auteur d’un renversement mortel d’une femme âgée traversant sur un passage piéton écope d’une peine de prison avec sursis et de la SUSPENSION du permis pour un an. Ahurissant : même pas l’annulation ! On le suspend, pour qu’un an après il conduise encore plus mal. Aberration sociale.
Ce jour, le plus chargé de la semaine avec un groupe bruyant de bac pro. Demain, détente avec l’entrevue d’Elo qui a opté pour l’entrée en deuxième année d’IUT.

Dimanche 8 septembre, 1h30
Beau spectacle de la troupe The Best que Bonny a intégrée récemment. La profondeur et le modulé de sa voix prennent une bien plus magistrale qualité qu’au Club 30. Toujours aussi complice, elle téléphone à Eddy à l’entracte pour s’assurer que cela nous plaît. Parmi la troupe d’amis présents, une parcelle familiale : sa fille (adorable enfant de dix ans, d’allure très vive), son frère et l’une de ses sept soeurs.
Ce jour, à 15h40, nous accueillons la belle Violaine qui soutient son mémoire à Lyon lundi. Occasion de retrouver cette complice d’Arles. Le tissu relationnel va bien.
Oublié de noter notre rencontre du petit ami d’Elo, vendredi. Jeune homme sympathique.

Mercredi 11 septembre, 0h05
Je vous salue Mahomet !
Jour de commémoration du chaos terroriste sur New-York et Was­hington, un an après. Pour moi : achèvement du volume XVIII du Journal littéraire de Léautaud, qui s’arrête cinq jour avant sa mort. Le volume XIX rassemble des pages retrouvées, et se lira beaucoup plus rapidement. Les dernières pages portent tous les stigmates d’une fin proche : dépression, désintérêt pour tout, place croissante des dysfonctionnements physiques, le suicide est même évoqué.

Je suis les divers films documentaires consacrés à l’attaque terroriste sur le WTC. L’horreur renouvelée, transmise par les images, ne peut qu’incliner au respect des victimes des enragés islamistes. Certes, jamais des morts d’innocents n’auront été autant choyés par les médias : les rwandais massacrés, par exemple, n’ont pas bénéficié, sur la durée et dans l’intensité, de cette focalisation. L’identification culturelle et le statut de première puissance pourraient expliquer l’inégalité de traitement. L’inexcusable choix du terrorisme sauvage, avec pour cible des civils de multiples nationalités et religions (y compris musulmane) vaut bien une semaine d’obsession médiatique.
Violaine s’en est allée hier soir. Nous ne l’aurons finalement pas beaucoup vu, mais le peu partagé a été charmant.

Vendredi 13 septembre, train Lyon-Genève, 11h
Hier, découverte avec BB d’un documentaire sur la fascinante destinée de Jean-Claude Roman, illusionniste de quinze années de sa vie pour finir, acculé à la révélation, par massacrer ses proches. Nous sommes tous un peu metteur en scène de notre existence (moi le premier avec ce Journal) face aux autres, mais le trompe l’œil atteint en l’espèce une complexité géniale et se double de détournements répétés d’argent auprès des plus affectivement liés. Il a pu assumer cette diabolique mascarade avec la tension permanente qu’implique une anticipation de tous les instants.
Le rythme professionnel actuel me convient parfaitement (14 heures de cours hebdomadaires à Forpro) et permet de larges plages de temps pour Léautaud. Je dois achever la sélection des citations avant fin décembre (déjà une soixantaine de pages sur Word en mise en page maximale et petits corps de caractère, Times New Roman 10). A partir de janvier 2003 mon cdi débute et le nombre d’heures augmente. Lenteur administrative : toujours aucune réponse à ma demande de prêt interuniversitaire pour une thèse consacrée à Léautaud et soutenue à Paris IV.
Hormis les messages affectifs, Heïm n’a pas relancé concrètement sa nouvelle proposition de publication du Gâchis. Cela devait-il tenir lieu d’appât affectif se dégonflant sitôt mes distances reprises ? Voilà ce qui me gène : pas de vrai rapport d’auteur à éditeur, mais une suite de circonvolutions rhétoriques sans prise avec la réalité. Je n’ai aucune envie de relancer l’affaire, car cela m’obligerait à un rapprochement affectif factice. Le désintérêt pour cet univers s’accroît chaque jour, et ma résolution à en faire état par écrit se renforce.

Samedi 14 septembre, 1h du mat.
Une très agréable soirée avec Shue et John.

Dimanche 15 septembre
Affalé face au lac Léman, sur les hauteurs de Lutry, je profite des rayons radieux pour revigorer mon bronzage estival. Au-delà du farniente, aide intensive pour la correction du cinquième chapitre de la deuxième partie de la thèse de Shue... ouf ! ouf !
Le couple Shue-John va bien, mais pas leurs finances, au point que les cinq mille francs suisses du loyer mensuel deviennent un souci prégnant. Les contrats ne se bousculent pas et, lorsqu’ils se présentent, il faut batailler pour récupérer par tranches les règlements. Shue me fait l’amitié de me confier des éléments très personnels (que je dois me garder de consigner ici) et je retrouve dans certaines réactions psychologiques de John décrites ce qui m’avait miné entre 1993 et 1995, au pire moment de mon parcours éclair de gérant de sociétés. J’espère surtout que cela n’aura aucune répercussion sur la belle harmonie de leur couple.
Toujours gâté comme hôte, les soirées se transcendent avec les plaisirs culinaires, des vins rouges d’Australie qui n’ont rien à envier à nos productions (le Penfolds accompagnant le brie aux truffes et le gruyère vieilli du canton de Vaulx : une merveille !), pour finir avec un Davidoff et un verre de cognac. Autant de circonstances atténuantes pour ma piètre phrase lapidaire de la veille : l’agilité intellectuelle s’est épuisée dans une conversation en anglais sur l’utilité ou pas du mariage comme renforcement du lien entre deux êtres. Les petits carreaux de mon Journal m’ont alors paru bien fades et les bras de Morphée beaucoup plus tentants.
Ces deux derniers soirs, de tendres textos de ma BB : une douceur de plus avant un dodo avec Himiko au pied du lit. Shue me détaille les points positifs de ma relation avec BB : son caractère, son activité et sa gestion de mon rapport aux femmes apparaissent comme un idéal pour moi. Effectivement, je me sens dans une sérénité sentimentale jamais atteinte, sans entrave pour mes relations affectives et amicales.

Samedi 21 septembre, 23h45
Les un an de notre plus grande catastrophe industrielle. Les perturbations psychologiques, au-delà des dégâts corporels, se prolongent encore.
Ce soir, ouverture du JT de TF1 avec ma rue Vauban, à trente mètres de chez moi, là où se situait l’une des deux caches d’armes et d’explosifs de l’ancienne Action directe, et son sanguinaire artificier Max Frérot, dit La Menace. Hier soir, alors qu’on recevait la marraine de BB à dîner, défilé sous les fenêtres de tout ce que l’Etat compte comme forces de sécurité et d’aide : police, gendarmerie, CRS, pompiers, déminage, SAMU...

Dimanche 22 septembre
Journée du patrimoine partagée avec ma douce BB sur les pentes de la Croix rousse, avec une fin de déambulation chez Nardone. La semaine qui vient s’allège un peu plus pour moi, et me permet d’intensifier mon travail de thèse.


Comme je le supputais, les avances éditoriales de Heïm n’ont été suivies d’aucune concrétisation. Au fond, cela m’amuse et me conforte dans ce détachement instinctif qui s’ancre aux tréfonds de moi. L’esbroufe convivialo-affective, où la seule priorité est de faire perdurer les conditions de vie choisies par Heïm, cette « prison dorée » comme il aime à le scander, ne me touche plus. Derrière les constructions diverses et les évolutions matérielles, je ressens la mort par des certitudes gélifiées : les personnages sortis de la vie de Heïm, les Anick, Maddy et Alice notamment, sont diabolisées pour mieux légitimer le reste. Mes gueulantes littéraires contre Alice avaient certainement un peu de cette déviance, même si j’ai été blessé, dans le rapport si affectif (presque intellectuellement sexualisé) qui existait avec elle, de son histoire avec Leborgne.
Peu de temps avant que n’éclate sa résistance ouverte à Heïm, qui fera son chantage au suicide, elle s’était confiée sur ses doutes concernant son père, la tentative de viol de son frère aujourd’hui magistrat disjoncté, et sa rupture avec le fond de cette vie. Finalement, je n’ai fait que suivre le même objectif, mais sans esclandre inutile et auto-destructrice. Il faudra bien qu’un jour le monolithisme de la vie familiale de Heïm soit étalé et scruté avec plus de subtilité sans s’arrêter à la version d’absents qui auraient tous les torts.


 Nous avons notre conflit absurde en Europe : entre catholiques et protestants d’Irlande du Nord la haine semble inextinguible. Gâchis en cascade pour une guéguerre de clans religieux pas plus évoluée que celles de la protohistoire. Si seulement l’irrésistible tendance grégaire de l’homme, sa soumission au collectif, pouvait s’estomper au profit d’un individualisme humaniste et raisonné... Que la route est encore longue pour entrevoir un frémissement de hauteur d’âme chez le matérialiste humanoïde.

Lundi 23 septembre

Nouveau rebondissement dans l’affaire de la publication du Gâchis, qui contredirait mes affirmations grognonnes d’hier. Heïm m’appelle en fin d’après-midi pour m’assurer de sa volonté de le faire paraître dans son entier, et pour me louer la qualité du style. Sa thèse pour justifier les atermoiements éditoriaux : une implication excessive qui lui a fait occulter les données purement littéraires. Le désengagement réciproque favoriserait l’émergence de l’œuvre seule. Les éloges sur ce Journal ne sont pas les premières qu’il me faits, puisqu’il faisait passer les critiques sur son entourage (?). Voilà encore une mixture ambiguë. Enfin, l’essentiel est d’en rester à des rapports auteur-éditeur : il doit m’envoyer dans quelques semaines un contrat d’édition. De là, seule la parution de ce texte, et son dépôt légal, devront nous occuper, sans dérive. Je garde ici ma distance critique, mais je ne vais pas me priver d’une édition sur dix ans de mon existence, réalisée par celui-là même qui a monopolisé mon engagement total économico-juridique. La logique sera respectée et la page de cette tranche de vie résolument tournée. En fait, c’est l’existence officielle de cet instantané littéraire qui m’excite, mais je ne vais pas dévier mes choix existentiels pour autant.

Mardi 24 septembre
Ce soir, en vedette des JT comme ministre de la Santé, Jean-François Mattéi. Cela me rappelle qu’une de mes anciennes aventures parisiennes, photographe qui m’apprit à jouer (lentement) quelques morceaux de Satie, avait été quelques années après sa maîtresse ; le médecin était alors député.

Dimanche 29 septembre
19h35. Ma tendre BB encore au travail, le soleil dominical a disparu. Ma vie lyonnaise comble mes besoins relationnels et mes poussées de solitude.
Elo et son petit ami Jérôme hier soir à dîner, avant une nuit au First, club pour la bourgeoisie lyonnaise. L’amitié affective s’ancre avec Elo, une sympathie vive pour la gentillesse de son compagnon émerge, et ma BB là dans son amour apaisant. Rien à faire, je ne retournerai pas au nord de la Loire...

Lundi 30 septembre
Finalement, je me sentais bien plus à l’étroit au château d’Au, où les seuls moments de répit psychologique se limitaient au neuf mètres carrés de ma chambre, que dans mon antre lyonnaise. A l'aune de soi, c’est bien le titre qu’il me faut pour cette nouvelle trajectoire existentielle.
Lecture finale de la première partie de la thèse de Shue achevée. Je vais lui transmettre mes quelques dizaines de corrections par courriel.
Mon propre travail thésard va pouvoir s’intensifier puisque trois thèses sur Léautaud demandées par prêt interuniversitaire sont disponibles jusqu’au 30 octobre.
Les partis politiques français ont besoin de se relifter avec de grandes couches lyriques plus ou moins puériles. Après la Maison bleue comme projet de dénomination de l’actuelle UMP, Leforestier doit être ravi, voilà pour la gauche la naissance du Nouveau Monde, un remake de Colomb en pays hostile. De là à ce que les uns se passent le oinj pour faire plus cool, et les autres nous proposent de la quincaillerie pour nous séduire, il y a peu...
Un nouveau Spielberg sort mercredi avec Tom Cruise, réflexion sur le futur sécuritaire à la sophistication technologique dangereuse qui nous attend. Demain soir, avec BB et quelques accointances lyonnaises, nous devrions découvrir la palme d’or 2002, Le pianiste.
Hors quelques films, les JT et quelques documentaires, la télévision ne me captive vraiment plus : est-ce moi qui mûrit ou le PAF qui fermente ?
Quelques analyses intéressantes de Marie-Noëlle (une amie récente) sur la personnalité qui transparaît dans les premières pages de mon Journal 2000. Mon rapport aux femmes, dans une quête d’un absolu inatteignable (la fameuse entéléchie féminine) dévoile une désespérance cultivée. Toujours curieux le regard des autres sur soi, et d’autant plus lorsque ce qu’on a écrit sert de prisme intermédiaire.
Je dois laisser le crissement de mon Sheaffer pour le tapotement informatique...