Mars/Avril

Samedi 16 mars
Agréable soirée chez un couple d’amis de BB, parents d’une infatigable petite fille, Jade. Evocation avec l’homme de l’imbroglio israélo-palestinien, de l’effroi ressenti face à la barbarie avouée dans le documentaire en trois volets, L’Ennemi intime, par des ex soldats de la guerre d’Algérie. Tous ces individus ordinaires qui peuvent s’adonner à la plus abjecte bestialité, pire même car sans objectif vital, me sidèrent. Le long chemin vers ce que l’on prétend humanité ne laisse augurer que tripes à l’air, boucherie toujours recommencée et inutiles massacres.

Dimanche 17 mars
Très bon ancrage de ma relation avec BB. Le sérieux constructif (avec enfant(s)) est en ligne de mire.
Les relations lyonnaises se pérennisent : avec Elo l’amitié complice s’affirme, avec Bonny un suivi pétillant… Rupture avec Katia qui n’a pas assumé la relation qu’amicale que je souhaitais. Un week-end de Pâques chez Shue et John avec BB. Très entouré et occupé finalement.
Et l’écriture ? Quelques rogatons parcellaires. Je retourne au décryptage de Bachelard en vue de mon intervention mardi prochain à Clermont Ferrand pour les étudiants qui préparent le CRPE par Galien.

Mercredi 3 avril
La villégiature chez Shue et John, dans un Lutry radieux, a été très agréable pour BB et moi. Toujours miné par le regard des autres sur ma dulcinée, j’ai cru déceler chez Shue, dans son manque d’enthousiasme, dans ses non-dits (elle si prolixe à l’analyse normalement), un refroidissement à l’égard de BB. Envoi d’un petit mail hier pour éclaircir l’affaire. Sa réponse lapidaire (« Pourquoi tu me dis ça ? ») ne fait que me renforcer dans mes impressions premières. Quoi que puisse m’avouer Shue, je ne dois me fier qu’à mon ressenti pour BB, sans influence extérieure. Quels que soient ses défauts, je dois peser les immenses points positifs qu’elle m’apporte, sa gentillesse extrême et la douceur de sa quotidienneté.
Déjeuner ce midi avec Sally, de passage pour la journée à Lyon. Quelques nouvelles éparses des gens du Nord et de certains membres de sa famille.
A noter la dérive violente du procureur Hubert qui, pour une peccadille, a « massacré » (terme de Sally) sa compagne en présence de sa mère. Les séparations-retrouvailles de ce sordide yo-yo sentimental s’achèvent (ou se poursuivent ?) dans l’abjecte violence maritale. Sa fonction de substitut du procureur, avec le sentiment de puissance qu’elle confère, n’a fait que renforcer des tendances bien présentes chez lui. Je me rappelle, rue Vercingétorix, les restes du défoulement sur sa petite amie d’alors : des cheveux par poignées. Le dépôt de plainte pour coups et blessures l’avait frôlé. Cette fois-ci, les conséquences semblent plus drastiques : perte de la garde sur l’enfant et risque de mutation professionnelle. Sally m’explique que cette tare, chez Hubert, trouve sa source directe chez sa mère. 
J’ajouterais que les discours et les comportements de Heïm à l’égard des femmes n’ont certainement pas fourni le meilleur des exemples au fils magistrat.
Très agréable rapport avec Sally (je suis à nouveau invité, avec BB, à Royan pour une semaine en août), mais elle tente à chaque fois de me sensibiliser à une certaine actualité du château. Ses craintes quant au comportement de Hubert concernant la prise de possession du château, contre Vanessa, après le décès de Heïm, m’apparaissent comme un appel indirect. Je n’ai, là encore, pas voulu être désagréable et la mettre dans une position impliquant un choix affectif, mais je n’en ai aujourd’hui que foutre des soucis autremencourtois. J’ai suffisamment donné de ma personne, je me suis grillé quasiment à vie pour la gestion d’une société, j’ai vécu l’enfer du kamikaze social pour défendre les gens du château, pour dorénavant me désintéresser de ces péripéties supposées à venir. Par ailleurs, je ne possède plus aucune part dans la SCI du château, je reste simplement caution solidaire pour le prêt ayant permis son achat, et ce jusqu’en 2007. Voilà mon seul lien, pas le plus enviable… Le ton de cette prose suffit à démontrer que je me sens étranger à ce monde ou, plus exactement, aux reliquats d’un monde perdu. Seules des individualités retiennent mon affection : Karl et Hermione, notamment.

Le gouvernement jusqu’au boutiste d’Israël s’adonne à de très inquiétantes répressions guerrières. Des actes antisémites se multiplient dans le monde. Quand comprendront-ils qu’il faut passer outre les attentats des kamikazes palestiniens et décider un acte fort tout de suite : le retrait des territoires occupés. C’est la seule façon de créer un électrochoc favorable à la reprise des négociations. On sombre dans cette infernale loi du talion qui n’aboutit qu’au sacrifice d’êtres humains chez les deux belligérants avant l’inéluctable accord qui devra, dans un an, un siècle, dix siècles, s’imposer. Nous avons bien connu cet engrenage avec l’Algérie.
Avec tout ce que l’histoire de l’humanité nous a appris, continuer ces processus à œillères constitue des involutions bien plus graves que celles de nos aïeux, car beaucoup plus aisément évitables. Pitrerie que la conscience universelle : les particularismes barbares règnent sans partage.

Jeudi 4 avril
Terne, terne l’arrière-cour présidentielle. Avant-hier Chirac : à moitié agressif, sans panache, rivé sur ses généralités pontifiantes, agacé par le moindre titillement journalistique. Hier Jospin : technicien rébarbatif, incapable d’alléger par un peu d’humanité joyeuse ses empesées démonstrations, ignorant tout clin d’œil des journalistes en ce sens (cf. l’allusion à sa nouvelle fonction filiale, grand-père, à moins que l’exclusivité à Paris-Match ne lui interdise de relever toute référence à ce thème privé). Et derrière, la flopée des petits candidats qui s’offusquent de cette ségrégation intellectuelle. Un premier tour au beau milieu des vacances scolaires, comme un signe supplémentaire pour le citoyen d’éviter le déplacement électoral face aux congés des idées. Les seuls moments d’émotion de cette campagne auront été les deux faits divers identifiables par leur lieu de déroulement, selon le procédé de la métonymie viticole : Evreux (le père battu à mort alors qu’il venait défendre son fils racketté) et Nanterre (carton d’un détraqué sur le conseil municipal).
Je ne sais de quoi va se composer ma future année professionnelle et si je vais effectivement me lancer dans un nouveau projet de thèse, à tenir cette fois sous peine de me vautrer dans le ridicule. Galien, où je suis en ce moment même (colle pour les médecines de Grange-Blanche), s’arrêtera alors après quatre ans de loyaux services. Trop de temps passé sur les ouvrages au programme pour l’année suivante. Je devrai consacrer mon été à Léautaud.
Mon existence convole avec de modestes objectifs, mais la sérénité fondamentale s’est ancrée. Pas une perte de lucidité, je crois y voir bien plus clair, au contraire, sans approche engoncée de la vie. Fini le cérémonial inutile, les pertes de temps pseudo-cathartiques, les monomanies humoristiques, la dérision sans réelle autocritique, toutes ces dérives qui n’ouvrent que sur le sacrifice pour un intérêt vaguement général, et en l’espèce pour répondre aux exigences du chef de la mesnie embryonnaire (suite aux dégraissages successifs). Trente ans auront été nécessaires pour que j’intègre la critique dans mon approche de cet univers à part. L’équivalent du maximum de la part incompressible pour une perpétuité en France… Rapprochement hasardeux sans doute…
Lorsque Sally m’a annoncé que la nouvelle petite amie de Karl avait été bien perçue par Vanessa et Heïm, je fulminais en silence. Quand vont-ils s’arrêter de passer au crible les choix sentimentaux de chacun ! Sous couvert du bonheur qu’ils nous souhaitent, ils s’arrogent le droit d’ingérence psychologique et moral dans nos inclinations et dans la gestion de notre parcours amoureux. Voilà l’une des raisons profondes de mon retrait du château et de mon exil lyonnais : indigestion de ces pressions quasi quotidiennes si le moule n’est pas parfait. Ce clonage mental me pue au nez. Ces poussées littéraires contre les gens du Nord n’ont que la vocation d’alléger un chouia le passé dans ses sombres facettes après tant d’années dédiées aux seules louanges (que je ne renie pas, mais qui se trouvent, avec la perspective des traces présentes, amoindries).
Laisser l’empreinte, même non publiée, d’un regard désengagé, sans l’ombre d’une amertume (puisque je me sens beaucoup mieux dans cet éloignement), sur quelques aspects moins reluisants de la vie chez Heïm, répond à la plus humaine des traditions intellectuelles : rompre avec la pensée unique, quelle que soit la superficie de son territoire (en l’espèce une micro société).



Mardi 16 avril

Le plus attachant des bourrus
Livraison hier soir, par Louise, la sœur de BB, du Journal littéraire de Léautaud, en dix-neuf volumes, publié dans la décennie 50, pour l’essentiel, au Mercure de France. 1 500 francs (220 euros environ) chez un bouquiniste nantais : une affaire m’ouvrant la jouissive perspective d’une replongée dans cette fresque socio-intimiste des volumes XIII à XIX. L’œuvre majeure de Léautaud enfin dans ma bibliothèque. Je vais pouvoir rendre le volume XIII, emprunté voilà plusieurs années à Heïm et dont la lecture s’effectuait entre éclipses dominantes. Le plaisir de retrouver ces pages au papier épais, presque de chiffon, ces couvertures blanches, à la sobriété trompeuse pour qui se risque à les ouvrir, ce parfum de vieux bouquin bien conservé, à l’âge serein pour délivrer l’expérience d’une vie d’homme. Me reste à trouver le directeur de thèse pour m’immerger totalement dans le monde de Léautaud : la galerie de portraits des gens qui comptent dans la littérature, ceux fustigés, les allusions à une actualité à recomposer.

Jeudi 18 avril
Affligeant l’absolu manque de curiosité intellectuelle de la plupart des étudiants que je suis. Confinés dans leur prêt-à-vivre sans surprise, le ludique décervelant anime seul leur piètre existence.
Je n’ai toujours pas appelé Heïm, et je n’en ai nulle envie. 
Je me sens vraiment étranger à son univers aujourd’hui. Hier, message de sa femme pour me signaler que le jugement de liquidation de la SERU devait m’être signifié. Mauvais goût qui remonte, j’espère qu’il conclura enfin ces années d’épreuve où l’engagement a tissé sa toile d’angoisse jusqu’à l’effondrement éperdu.

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